Le temps des adieux
dessus de lit, précisa la grand-mère. Sur mon balcon.
Elle était devenue plus guillerette maintenant que le jeune homme travaillait à sa place.
— Valeur ?
— Un denier ! répondit-elle sans hésiter.
— Tu l’avais depuis quand ? demanda Fusculus soupçonneux. Et il était en quoi, ce trésor ?
— En belle laine. Je l’avais depuis vingt ans.
— Et tu crois que tu en aurais tiré un denier ? Tu plaisantes ! Bon, enfin, on termine par la formule traditionnelle : par conséquent, je vous serais reconnaissante d’ouvrir une enquête…
Le fonctionnaire termina sa page d’écriture, tandis que Fusculus m’invitait d’un signe à entrer dans le bureau. C’était un joyeux drille rondouillard dont on sentait le poids quand il vous écrasait les orteils par inadvertance. Il avait environ trente-cinq ans, et son crâne s’était déjà passablement dégarni. Mais ses cheveux étaient restés bien noirs, aussi noirs que ses yeux. Malgré son tour de taille imposant, il donnait l’impression d’être en pleine forme.
— Si c’est Petronius que tu cherches, dit-il, il va passer, mais beaucoup plus tard. Il a accompagné la patrouille de nuit. Il est toujours persuadé qu’un autre raid important se prépare. C’est Martinus qui est de service. Et il est retourné à l’Emporium pour vérifier certaines choses.
— Eh bien, je vais l’attendre.
Fusculus ne put dissimuler un sourire ironique. Peu de gens faisaient grand cas de lui.
— Parle-moi des derniers événements, Fusculus.
— Oh ! tout a l’air calme pour l’instant. La patrouille de jour est partie enquêter sur un vol supposé au temple de Cérès. Et puis on a eu les gratteurs de statues qui ont encore sévi.
— Les gratteurs de statues ?
— Oui. Ils grattent la couche d’or. Ses voisins se plaignent aussi d’un tanneur qui empoisonne l’air près de l’Aqua Marcia. Ça change ! D’habitude, ils disent qu’il empoisonne l’eau… On va envoyer quelqu’un renifler pendant qu’il travaille, et on l’expédiera peut-être dans le quartier de la Transtiberina. Il y a eu une bagarre près de la porte de Trigeminal, mais c’était terminé avant qu’on y arrive. Plusieurs citoyens respectables ont signalé la présence d’un loup aux abords du temple de Luna.
— Sans doute un gros chat, suggérai-je.
— Très probablement, ricana Fusculus. Plus ennuyeux, on a un cheval mort sur les bras au marché au bétail, et il va falloir l’évacuer au plus vite. Et une poignée d’esclaves évadés attendent dans la cellule que leurs maîtres viennent les récupérer. J’ai aussi deux propriétaires négligents à interroger. Ils ont été arrêtés par la brigade incendie. Pour l’un d’eux, c’est la première arrestation ; il va être libéré avec un bon avertissement. Mais l’autre est déjà connu. Il a intérêt à prouver qu’il s’agit d’un accident, ou il est bon pour le fouet.
— Et qui sera chargé d’appliquer la sentence ?
— Sergius ! s’exclama joyeusement Fusculus.
Je connaissais Sergius : il mettait du cœur à l’ouvrage.
— Et il y a un troisième pyromane en puissance en route.
— En route ?
— On l’emmène voir le préfet. C’est un pauvre crétin de joaillier qui accroche constamment des lampes sous sa colonnade. Il les laisse se balancer au vent sans jamais les surveiller.
— Il va écoper de quoi ?
— Une grosse amende. Je dois le conduire au quartier général. Tu pourrais m’accompagner, Rubella veut justement te voir.
Rubella était le tribun de la Quatrième.
— Tu crois que ça va être une rencontre agréable ? grimaçai-je.
— Je serais bien en peine de te le dire, répondit-il.
Tout en rassemblant les documents qu’il souhaitait emporter avec lui, il continua de me mettre au courant des affaires en cours. Il adorait pérorer.
— Nous sommes en train de mener une enquête sur une religion secrète, mais elle devra attendre encore une fois, à cause de la nouvelle mission. Comme plusieurs autres tâches. Mettre la liste des indésirables à jour, par exemple.
— De quels indésirables parles-tu ?
J’étais fort curieux d’apprendre quelles espèces de dégénérés avaient mérité d’être officiellement recensés. Fusculus parut soudain quelque peu gêné.
— Eh bien, tu sais… bafouilla-t-il. Il faut qu’on aide les édiles à tenir leurs registres. Je veux parler des bars et des
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