Le temps des adieux
de l’exquise Lalage !
— Je t’invite d’abord à déjeuner, déclarai-je.
Petronius accepta sans manières. Il convint que nous avions besoin de reprendre des forces avant d’aller là où nous allions.
19
Nous venions de pénétrer dans la onzième région après avoir quitté la juridiction de Petronius Longus. Il décréta néanmoins qu’il ne voyait pas la nécessité de rendre une visite de courtoisie au QG de la sixième cohorte qui y assurait les patrouilles. Je crois qu’il se réjouissait secrètement de pouvoir s’y faufiler en douce, grâce à la mission spéciale dont nous avions été directement chargés par l’empereur.
La plupart des prostituées qui exercent leur petit négoce autour du Circus Maximus se cachent dans des anfractuosités propices. Elles font le trottoir avant et après les courses de chevaux. Elles jettent leur dévolu sur les hommes que leurs gains ont excités et rendus généreux ! Certaines de ces femmes espèrent se donner un air plus digne en paradant aux abords des temples, mais le résultat est le même : elles pratiquent debout contre un mur et risquent de se voir accuser de vol, et de transmettre ou de recevoir une sale maladie. Sans parler d’une mauvaise conscience.
Le bordel connu sous le nom de l’Académie de Platon offrait certains avantages. Chez Platon, à moins d’être un jeune homme gâté n’aimant que les literies propres, on pouvait du moins accomplir l’acte à l’horizontale. Les vols et les maladies restaient bien sûr à discrétion. Quant à la mauvaise conscience, c’était l’affaire de tout un chacun.
Petronius et moi-même partîmes donc en reconnaissance. Nous n’étions pas vraiment nerveux, mais peu s’en fallait. Il est vrai que, même d’après les critères romains, l’Académie de Platon avait une sinistre réputation. Et nous tenions à nous assurer nous-mêmes du bien-fondé de cette réputation. En passant devant le Circus Maximus, nous fûmes hélés de façon non équivoque par des filles aux prunelles sombres auxquelles nous nous contentâmes de faire les gros yeux. Nous nous enfonçâmes ensuite dans un dédale de ruelles au sud de l’hippodrome. Nous nous installâmes ensuite à la table d’une gargote pratiquement située en face de l’établissement que nous souhaitions surveiller. Nous fîmes des taches probablement indélébiles sur le marbre de la table en y posant nos coupes pleines du pire vin qu’il m’ait été donné de goûter à Rome depuis des années. J’avais commandé un bol de pois pour aller avec, et l’ami Petro de la cervelle. La tension causée par les événements produisait toujours chez lui des réactions bizarres.
Mes pois n’avaient aucun goût. La cervelle ne paraissait pas avoir jamais risqué le surmenage, même si l’on considère qu’on ne demande pas aux veaux d’écrire des encyclopédies. Ce qu’il mangeait rappela quelque chose à Petronius.
— Il y a une rumeur qui court. Soi-disant que Vespasien veut interdire la vente de plats cuisinés dans les rues.
— Eh bien, ça va résoudre un des grands dilemmes de la vie des gens : avoir faim ou attraper la courante.
— Oui, mais les gardiens des latrines publiques sont inquiets.
Ce bavardage était destiné à détourner l’attention du gargotier tandis que nous observions discrètement l’établissement d’en face.
Un panneau plutôt discret, à la peinture passée, indiquait au-dessus de la porte : BERCEAU DE VÉNUS. Des chérubins à l’air déprimé brandissaient des guirlandes de part et d’autre, pour essayer de servir de caution au message. Toutefois, pour rassurer les touristes auxquels on avait recommandé ce monument de la cité, une banderole flottant au niveau des yeux indiquait son nom courant. Tout à côté, pour ceux qui ne savaient pas lire, se dressait un Priape de pierre à l’érection monumentale. De l’autre côté de la porte, on avait écrit à la craie : ENTREZ ICI ET VOUS Y DÉCOUVRIREZ TOUT CE QUE LES HOMMES CHERCHENT. Impossible d’ignorer le genre de commerce qui se pratiquait à l’intérieur.
La porte massive de chêne sombre était ouverte, et les gonds affaissés indiquaient qu’on ne la fermait jamais. Elle ne se trouvait qu’à quelques coudées de nous, de l’autre côté de la ruelle jonchée de détritus. Depuis notre arrivée, nous avions vu du coin de l’œil un défilé quasiment ininterrompu d’hommes la franchir : des soldats en goguette,
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