Le temps des adieux
les garçons. C’est la première fois que je vous vois, pas vrai ? Alors je vais tout vous expliquer. Mon rôle est de veiller à ce que vous en ayez pour votre argent.
Exactement le genre de discours agressivement vendeur que je déteste.
— Lui, c’est Falco, et moi je suis Petronius. Nous faisons partie des vigiles, annonça tout de suite mon ami.
Je m’étais demandé comment il allait gérer la situation. J’étais désormais fixé.
— On est toujours heureuses de voir les représentants de la loi, assura-t-elle d’un ton légèrement ironique.
Toutefois, ses yeux étaient soudain devenus plus attentifs. Elle saisit rapidement que nous n’appartenions pas aux patrouilles à pied, ni à la sixième cohorte dont elle devait forcément connaître quelques spécimens, au moins de vue. Elle en conclut rapidement que nous venions du bureau du préfet ou du tribunal – ce qu’elle traduisit immédiatement dans sa tête par fouteurs de merde. La jeune dame savait comment s’y prendre. On imaginait sa devise : « Découvre qui ils sont et tente de les amadouer. »
— Vous vous trouvez dans un établissement décent, assura-t-elle. Toutes les filles sont en bonne santé. Je peux même vous proposer quelque chose de tout à fait spécial, sourit-elle. Comme je vous l’ai déjà dit, les forces de l’ordre sont ici les bienvenues.
Pendant cette diatribe, elle avait adressé un regard éloquent à son chien de garde. Petro et moi avions compris qu’elle lui demandait d’aller chercher de l’aide. Lui, pas.
— Quelque chose de tout à fait spécial, hein ? répéta pensivement Petronius.
Croyant qu’il se réjouissait de son offre, la dénommée Macra parut soulagée.
— Et comme c’est votre première visite, la maison vous invite. Permettez-moi de vous recommander Itia. Vous verrez, elle est adorable. Elle est née citoyenne libre et n’accepte normalement que des clients importants. Sur rendez-vous. Alors vous êtes d’accord pour vous occuper d’elle l’un après l’autre ? Parce que si vous souhaitez lui rendre visite tous les deux en même temps, je devrai vous compter un petit quelque chose.
— Née libre ? Demanda Petro. Vous pouvez donc me dire auprès de quel édile elle est enregistrée. Ainsi que son numéro d’enregistrement ?
Toute femme née libre qui souhaitait faire fi de sa réputation et se lancer dans la prostitution le pouvait, à condition de le déclarer aux autorités. Ensuite, elle ne tombait plus sous le coup des lois régissant l’adultère.
Voyant qu’elle ne parviendrait pas à séduire Petronius, Macra balança un coup de pied à l’homme somnolent qui se tenait près d’elle. Il consentit enfin à revenir dans le monde réel et se leva d’un bond.
— Tu peux te rasseoir, lui conseilla aimablement Petro.
L’homme ne se fit pas prier.
Macra prit une profonde inspiration.
— Si jamais tu cries, assura mon ami sans élever la voix, je te dévisse la tête. Je suis allergique au bruit. On est ici pour voir Lalage.
Macra se le tint pour dit et s’abstint de hurler.
— Lalage n’est pas disponible.
Il fallait s’y attendre. La patronne d’un bordel est rarement joignable.
— On n’est pas ici pour discuter une facture, insista Petro. Inutile de paniquer.
— Très amusant ! Est-ce qu’elle attend votre visite ?
Deuxième tactique pour opposer une fin de non-recevoir.
— N’importe quelle tenancière de bordel doit passer sa vie à attendre la visite de représentants de la loi qui ont envie de lui poser quelques petites questions ! Arrête de vouloir gagner du temps. C’est inutile !
— Je vais me renseigner, déclara pompeusement la fille. Veuillez vous donner la peine d’attendre ici.
— Pas question. Conduis-nous tout de suite jusqu’à elle et bouge tes fesses. (Elle fit mine d’ignorer l’expression.) Avance, nous te suivons !
Laissant échapper un juron bien senti entre ses dents serrées, la fille s’exécuta et nous conduisit en balançant les hanches dans une parodie de danse suggestive. Ses longs cheveux laissés dans un désordre savant lui balayaient les épaules. Ses talons résonnaient haut et fort sur le dallage. Elle avait un air un peu négligé et n’était pas vraiment jolie, mais ça lui donnait un certain style.
Nous passâmes devant une série d’alcôves faiblement éclairées. Au-dessus des portes, des tableaux crûment obscènes ne faisaient aucun effort pour
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