Le temps des illusions
les bois. En rentrant à Versailles, elle a fait une fausse couche et les médecins lui ont annoncé qu’elle ne porterait plus jamais d’enfants ; sa vie en dépend. Désespérée, Marie n’a pas osé avouer à son mari qu’elle n’aurait plus jamais l’espoir de mettre au monde un héritier.
Après trois semaines passées à Compiègne, le roi et la Cour ont regagné Versailles. Le cardinal baisse à tout point de vue : il n’entend plus rien et trottine les genoux fléchis. Il s’est trouvé mal en présence du roi mais il a repris son travail. Au mois d’août, il est arrivé ce qu’on attendait depuis longtemps : Mgr deFleury était mourant. Il a reçu les sacrements. Le roi allait le voir deux fois par jour et restait seul avec lui. Il pleurait en revenant de ces visites. Heureusement, les divertissements de la Cour ne furent pas interrompus : concert le lundi et le mercredi, tragédie le mardi, comédie française le jeudi, comédie italienne le samedi, et jeu le vendredi et le dimanche. Soudain, un matin, le cardinal a ressuscité. Il est retourné se reposer à Issy. Serait-il immortel ? Le roi a aussitôt écrit à MamanVentadour 3 : « Nous avons eu une furieuse alarme pour lecardinal ; heureusement elle est passée ; il faut qu’il ait un tempérament d’airain. Dieu veuille présentement que par sa conduite il ne nous y fasse pas retomber de sitôt ; il est bien fâcheux que certaines gens vieillissent. Je vous charge d’embrasser mes enfants de ma part ; elles m’ont écrit mais je ne leur ai pas répondu ; cela n’est pas trop bien à moi, mais j’ai autre chose à faire et cela viendra avec le temps. Je vous embrasse, maman, de tout mon cœur et attends le moment de vous revoir avec bien de l’impatience, quoique à vous dire vrai, je m’amuse beaucoup ici et m’y trouve par conséquent fort bien 4 . » Apparemment, tout est rentré dans d’ordre. Le cardinal gouverne et le roi s’incline devant ses volontés.
Les sœurs Nesle
Depuis que Mgr de Fleury est rétabli, le roi est d’une humeur charmante. Il a accordé à sa maîtresse la permission de recevoir sa sœur, Mlle deNesle, à Versailles. Les courtisans ne manifestent pas d’empressement particulier à son égard, mais elle semble avoir fait forte impression sur le monarque. C’est une grande femme de vingt-six ans, sans grâce mais de beaucoup d’esprit. Elle distrait S.M., qui l’invite à tous les soupers. Mme deMailly se réjouit de la voir aussi bien accueillie ; elle la croit sans ambition.
On a conseillé au monarque de se montrer dans la capitale où il paraît trop rarement au gré des Parisiens, qui se sentent délaissés. Aussi le 9 janvier est-il allé, entre hommes, à l’Opéra assister à la représentation d’ Atys de Lully et le 23 à celle d’ Alceste avec Mme de Mailly et les princesses, mais sans la reine. On n’avait délivré de billets au public que pour remplir le parterre et l’amphithéâtre. Au premier rang brillaient deux jeunes sœurs de Mme deMailly, la marquise deFlavacourt qui vient de se marier et la marquise deLaTournelle.
Le souverain ne pouvant chasser à cause du froid, il a décidé de se promener en traîneau autour du canal. Il est allé tout d’abord chez Mme la Duchesse qui était à sa toilette et qui ne comptait pas sur une telle promenade ; il l’a pressée de s’habiller et l’a attendue ; lorsqu’elle a été prête, il a voulu l’emmener avec lui, mais elle a répondu qu’elle était trop vieille. La coquette en a été pour ses frais, elle est partie avec le duc deVilleroy tandis que le roi conduisait Mlle deCharolais. Les dix-sept traîneaux se sont alors lancés dans une course folle. La journée s’est poursuivie par un souper et le jeu. La neige qui tombe en abondance a favorisé une nouvelle course de ce genre suivie cette fois par un bal.
Le 26 janvier, le roi et la reine ont donné un bal rangé suivi d’un bal masqué pour inaugurer le salon d’Hercule. Le premier devait commencer à six heures et demie, mais tant de courtisans se pressaient déjà à quatre heures qu’on faillit transporter les fauteuils et les gradins du salon d’Hercule dans la galerie des Glaces. Vêtu d’un habit de velours bleu garni de boutons de diamants sous une veste d’étoffe d’or, le roi vint sur place se rendre compte de l’embarras ; il fit procéder à quelques arrangements et alla chercher la reine, très élégante dans une
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