Le temps des illusions
souverain et au dîner de la reine, l’évêque de Chartres, Mgr deMérinville, a évoqué la misère populaire et dénoncé une meurtrière famine. À la reine qui lui offrait 100 louis pour les plus malheureux de son diocèse, il a répondu : « Madame, gardez votre argent pourquand le roi, ses finances et moi nous serons épuisés. Alors V.M. assistera mes pauvres diocésains si elle a encore de l’argent. » À Paris le pain a été taxé afin d’éviter des troubles.
Au mois de juillet, des averses de grêle ont ravagé l’Anjou ; Angoulême a été la proie de séditions. Au mois d’août, les réserves d’avoine étaient épuisées à Paris. On a vu les cochers et les écuyers coucher sur le port pour tenter d’être servis à la prochaine livraison. Il fallait trouver des moyens de subsistance pour les chevaux, en attendant l’avoine nouvelle qui n’arriva qu’en septembre.
Cette disette qui affecte tout le royaume serait due à des exportations de blé trop importantes vers l’Espagne menacée de famine, le contrôleur général des Finances et les intendants des provinces ayant mal calculé les besoins de la France. Mais on soupçonne aussi des accapareurs d’avoir acheté du blé pour le revendre plus cher cette année. Comme beaucoup d’observateurs, l’avocatBarbier se demande qui sont les responsables de telles manœuvres. Les soupçons retombent surOrry, le contrôleur général des Finances. Ce dernier aurait répondu au prévôt des marchands venu lui parler de l’état misérable du Limousin qu’il « ne pouvait être partout ». On l’accuse de laisser les financiers faire la loi et de pressurer les populations. Les fermiers généraux font haïr les droits du monarque. Cependant Orry se vante d’avoir équilibré le budget, ce qui doit être noté dans les annales car cela n’arrive pratiquement jamais…Le cardinal, inquiet des bruits qui courent sur ce ministre, aurait proposé au roi de le renvoyer, mais le monarque a refusé. La France gémit sous le joug d’une satrapie de parvenus.
Mariage princier et mariage de complaisance
Comme à son habitude, la Cour a passé deux mois à Compiègne pendant que les artistes, les artisans et les spécialistes de l’étiquette mettaient au point tout ce qu’exige une cérémonie aussi importante qu’un mariage princier. Dès son retour à Versailles, MadameÉlisabeth, fille aînée de Leurs Majestés, a fêté ses douze ans. Cette princesse manque singulièrement de grâce, alors que sa jumelle, MadameHenriette, est jolie et fine. Avant la célébration des noces, les deux jeunes filles et ledauphin ont reçu lesacrement de confirmation et ont fait leur première communion. Le 25 août, dans le salon de l’Œil-de-Bœuf, Madame Élisabeth, très émue dans sa robe noir et or, sa longue mante brodée tenue par sa sœur Henriette, appose sa signature après celles de ses parents au bas du contrat qui la lie pour toujours à l’infant donPhilippe dont elle porte la miniature sur un bracelet de diamants. Le lendemain, le mariage par procuration a eu lieu dans la chapelle, le duc d’Orléans représentant l’infant. Madame Infante (ainsi l’appelle-t-on désormais) a reçu les compliments de la Cour et la journée s’est achevée par un extraordinaire feu d’artifice tiré par les frèresSlodtz venus exprès de Saxe où ils excellent dans cet art. Le lendemain, la famille royale a assisté du balcon du Louvre à une fête nautique sur la Seine et à un nouveau feu d’artifice.
Le 31 août, la reine s’entretint longuement tête à tête avec la jeune mariée et la quitta en sanglotant. MadameInfante alla dire adieu à ses sœurs et au dauphin qui fondirent tous en larmes ; ils s’étreignirent longuement en sanglotant : « C’est pour toujours… C’est pour toujours… » Il fallut bien se séparer. Le roi monta en carrosse à côté de sa fille et la conduisit jusqu’à Sceaux. Il l’embrassa tendrement, mêlant ses larmes aux siennes, mais sitôt le cortège princier parti,Louis XV fila vers Rambouillet rejoindre Mme deMailly.
Il entend annoncer à sa favorite que sa sœur, Mlle deNesle, épousera le marquis deVintimille. Mlle deCharolais a trouvé l’époux idéal. C’est un cousin de l’archevêque de Paris, Mgr deVintimille, lequel rêve d’obtenir la pourpre cardinalice. On lui a laissé espérer qu’il l’obtiendrait s’il voulait bien arranger cette union peu orthodoxe. Tout laisse
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