Le temps des illusions
à penser que la jeune personne est déjà la maîtresse du souverain, ce qui n’empêche pas celui-ci d’honorer aussi Mme de Mailly, laquelle n’ignore pas ce partage ! Louis prend un plaisir évident à ces noces.
Le 28 septembre, après la messe de mariage et le dîner qui eut lieu à l’archevêché, les nouveaux époux et leurs invités vinrent souper chez Mlle de Charolais, au château de Madrid. Plus tard dans la soirée parut le roi accompagné de quelques dames. Il joua au cavagnole et lorsque les mariés se retirèrent, il les accompagna dans leur chambre où il fit l’honneur (!) à M. de Vintimille de lui donner sa chemise, ce qu’il n’a jamais fait pour qui que ce soit. Le lendemain matin, il assista à la toilette de la mariée.L’après-midi, la marquise deVintimille se plia bien volontiers à la cérémonie de présentation au roi, ce qui lui permet désormais de faire officiellement sa cour au souverain, à son épouse et aux autres membres de la famille royale, le matin après la messe et le soir au jeu. Elle a le droit de monter dans les carrosses du roi et dans ceux de son épouse ; elle sera dès lors invitée aux soupers des petits appartements (elle en avait déjà le privilège) et conviée à tous les bals de la reine. La présentation à la reine eut lieu une semaine plus tard.Marie dut subir cette humiliation et Mme deMailly accepter son infortune. Lors d’un petit souper, elle quitta brusquement la table au moment de l’entremets ; sa sœur parut inquiète, voulut se lever, mais Mlle deCharolais lui dit de ne pas la suivre. Mme de Mailly revint un quart d’heure plus tard. Personne ne sait ce qu’elle a fait. Pendant le jeu, elle est restée ostensiblement auprès du roi, qui est parti se coucher de bonne heure. Le marquis deVintimille chasse tous les jours avec Louis XV, mais il n’apprécie guère sa femme. Il en parle comme d’une grande halberda 6 puant comme un diable 7 .
Rien ne va plus
Louis XV n’a rien changé à son existence quotidienne. Il se consacre désormais à ses deux maîtresses. Mme de Mailly accepte douloureusement le caprice de son amant ; quant à la reine, elle semble s’être fait une raison. Son époux ayant cessé toute relation intime avec elle, elle ne pourra plus se plaindre d’être toujours grosse et de souffrir les douleurs de l’enfantement. À l’occasion du dernier Noël, le roi est, paraît-il, venu frapper sa porte. Elle ne lui a pas répondu et il en a conclu qu’elle se refusait désormais à lui. Il ne s’en est pas expliqué avec elle.
En ce printemps de 1740, la Cour s’étonne de le voir s’intéresser à l’histoire des rois fainéants qui ne gouvernaient pas leurs États. Les plus ironiques des courtisans disent qu’il se compare à ces lointains ancêtres, d’autres pensent qu’il veut s’affranchir du jougdeFleury. On prétend qu’il a installé des écoutes dans toutes ses résidences. Il y aurait de fausses portes percées de glaces par lesquelles il voit et entend tout. La rumeur a été lancée par MM. de LaTournelle et deFlavacourt qui parlaient tranquillement de la probable disgrâce de leur belle-sœur Mme deMailly et qui entendirent soudain une voix crier par la cheminée : « Non ! Il ne la quittera jamais 8 . » Ils avaient cru reconnaître le roi…
Au mois d’avril, le souverain a passé des journées entières dans un pavillon proche du château de Choisy qu’il vient d’acheter. D’une terrasse donnant sur le bac, il regardait les bateliers acheminant le vin et le poisson vers Paris et causait familièrement avec eux. Il a pris du plaisir à ces rencontres inhabituelles et envoyé ses officiers goûter le vin et acheter des carpes. Hélas, la température a baissé brutalement, un vent du nord-ouest a apporté des pluies glaciales et des averses de grêle sur l’Île-de-France. Il s’ensuivit une grave épidémie de rhume n’épargnant pas grand monde. Le roi lui-même en fut atteint ; on l’a saigné, purgé et mis à la diète. Du coup, il a « un air de dépérissement », mais on s’alarme trop vivement à sa moindre indisposition !
L’épidémie qui se poursuit est meurtrière, et elle s’ajoute à la disette. Le prix des vivres a encore augmenté. Il y a du tapage sur les marchés. Les Parisiens sont inquiets. On redoute la famine, car les intempéries ont détruit les blés et les fruits. Comme tous les États européens se trouvent dans la même
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