Le temps des illusions
fin, subtil, mais trop discret. On ne sait jamais ce qu’il veut et il s’en remet toujours à son mentor. Pendant cet hiver (1737-1738), il a souvent été malade et quelques courtisans ont eu l’imprudence de parler de régence à la reine. « Quel malheur si une telle perte arrivait », répétait la pauvreMarie, qui demandait tout bas si, isolée comme elle était à la Cour, on lui confierait la régence. Heureusement le roi a repris ses occupations habituelles, la chasse au moins quatre fois par semaine, les petits soupers, les sorties incognito avec ses familiers et les visites chez lacomtesse de Toulouse. La mort ducomte de Toulouse survenue le 30 décembre 1737 l’a beaucoup affecté. Il a perdu avec lui le dernier lien direct avec ses parents et le feu roi.
On vient d’avoir une nouvelle preuve de la soumission du souverain au vieux Fleury. Il ne s’est pas opposé à une décision concernant ses filles et il a mis la reine devant le fait accompli : il s’agit d’envoyer les princesses, à l’exception des deux aînées, à l’abbaye de Fontevrault en Anjou, sous le fallacieux prétexte que leur présence à Versailles coûterait trop cher et qu’on manque de place au château. Marie est frappée en plein cœur. Elle a toujours été très proche de ses enfants. Elle se promène avec eux dans le parc, s’intéresse à leurs progrès, surveille leur éducation religieuse et n’hésite pas à les gronder si elle le juge nécessaire. La fessée qu’elle a récemment donnée audauphin a beaucoup étonné la Cour, maisMarie voit son fils tel qu’il est, c’est-à-dire tout simplement comme un enfant qui mérite d’être corrigé. Il restera à Versailles avec MadameÉlisabeth et sa jumelle, MadameHenriette, qui depuis trois ans déjà participent aux fêtes de la Cour. À l’occasion du bal du Mardi gras, elles ont dansé jusqu’à l’aube et sont allées aussitôt après à la messe avec leur mère pour recevoir les cendres. Le départ de leurs sœurs les attriste. Les petites n’ont pas protesté à l’exception de la plus gaie, MadameAdélaïde, qui vient de fêter ses six ans. Elle s’est mise d’accord avec sa gouvernante, Mme deTallard, pour demander au roi de rester au château. Il a cédé : elle ne partira pas avec les cadettes dont la dernière, MadameLouise, n’a pas encore un an…
Cette décision contraire à la tradition ne manque pas de surprendre. Aucune princesse n’a été élevée en dehors de la Cour et on s’étonne du choix de cette lointaine abbaye alors qu’il y a tant de couvents et de monastères proches de la capitale. Le roi ayant annoncé que les personnes attachées aux princesses continueraient de recevoir leurs appointements, on se demande s’il s’agit bien d’une mesure d’économie, d’autant qu’à Fontrevault il faudra pourvoir à l’entretien de Mesdames de France. Elles quitteront Versailles le 16 juin 1738, toutes les quatre dans le même carrosse suivi de sept voitures pour leur suite et une vingtaine de fourgons de bagages. Leur voyage durera treize jours.
Est-ce pour se faire pardonner par la reine ?Louis XV a couché deux fois avec elle au mois de juin et semblait fâché avec Mme deMailly. Il n’est cependant pas revenu chez son épouse et s’est réconcilié avec sa maîtresse dont la faveur est à son comble alors que la Cour se prépare pour le voyage de Compiègne. Marie a décidé de rester à Versailles pour se reposer. Elle se croit de nouveau enceinte. Mme de Mailly, qui est « de semaine » auprès d’elle en tant que dame de son palais, ne cache pas son impatience de rejoindre le roi, lequel est déjà parti. Entre l’épouse et la maîtresse, l’atmosphère est toujours assez tendue lorsqu’elles se trouvent ensemble. La reine prend plaisir à exaspérer sa rivale par de subtiles et parfois perfides allusions. Cette fois, Mme deMailly se venge en demandant àMarie de partir pour Compiègne sans achever son service auprès d’elle. « Faites, Madame, vous êtes la maîtresse », lui a rétorqué la souveraine.
Fin juillet, Marie a reçu confirmation de sa grossesse ; à trente-cinq ans, elle peut encore donner des héritiers au trône. Plus libre de ses mouvements que d’habitude puisque la plupart des courtisans se trouvent à Compiègne, elle est allée rendre visite àMme deMazarin dans sa maison de Saint-Cloud. Il faisait beau, la reine s’est laissée tenter par une longue promenade dans
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