Le temps des illusions
tracasseries civiles. L’esprit philosophique qui n’est autre chose que la raison, est devenu chez tous les honnêtes gens le seul antidote dans ces maladie épidémiques 4 . »
Le surprenant traité d’alliance conclu avec l’impératrice a fait l’effet d’une bombe parce que nul ne s’en doutait et qu’il est d’une importance capitale. Jusqu’à maintenant la France poursuivait la politique dictée par lecardinal de Richelieu consistant à abaisser la maison de Habsbourg en s’appuyant sur les souverains protestants d’Allemagne. Au cours de la guerre de Succession d’Autriche, on s’en souvient,Frédéric de Prusse s’était montré un allié inconstant, mais un allié. À la Cour et dans le ministère, « le clan prussien » est majoritaire : on admire le génie de Frédéric, son gouvernement et même ses conquêtes. À la Ville, les esprits éclairés voudraient conserver l’alliance de ce « Salomon du Nord », modèle des princes éclairés qu’on se refuse à considérer comme un despote. Personne ne pouvait imaginer queLouis XV, préoccupé par les problèmes intérieurs, était en train de réorienter secrètement le système diplomatique français.
L’initiative n’est pas venue de lui, mais de l’impératriceMarie-Thérèse dont les intentions sont claires : elle veut reconquérir la Silésie et infliger une cuisante défaite àFrédéric II qui rêve de substituer la domination prussienne à la domination autrichienne sur l’ensemble de l’Allemagne. Dans la lutte inexpiable qui s’annonce entre les deux États, Marie-Thérèse a besoin d’un puissant allié. Elle sait qu’elle ne doit pas compter sur l’Angleterre, qui a tout à perdre et rien à gagner dans une guerre continentale. Seule la France peut lui prêter main-forte, mais cela ne semble guère son intérêt. Réussir un tel « renversement » d’alliances relevait de la gageure.
Lecomte de Kaunitz, l’ambassadeur de l’impératrice en France de 1750 à 1753, posa les premiers jalons d’une entente entre les deux États. Grand seigneur fastueux, il avait été très bien accueilli à Versailles où, évaluant les forces en présence, il eut l’habileté de faire une cour assidue à Mme de Pompadour.
Au mois de juin 1755, lorsque les Anglais attaquèrent par surprise des navires français, Marie-Thérèse et Kaunitz, devenu son chancelier, jugèrent opportun d’engager des pourparlers avec Louis XV par l’intermédiaire de lamarquise. Le nouvel ambassadeur d’Autriche, lecomte de Starhemberg, lui remit une lettre de l’impératrice à l’intention de Louis XV : Marie-Thérèse souhaitait que le roi désignât une personne de confiance pour entendre les propositions que Starhemberg, devait faire en son nom. La Cour ignora tout de cette démarche. Aucun soupçon n’effleura les ministres. D’un commun accord, le roi et sa favorite désignèrent l’abbé de Bernis pour cette mission. Bernis tomba desnues. Il fut décidé qu’il rencontrerait Starhemberg en secret à Bellevue chez Mme de Pompadour et en sa présence.
Sous les apparences de la franchise, le rapport autrichien était d’une redoutable habileté. Marie-Thérèse supposait Louis XV las de son alliance avec Frédéric II, et irrité que ce prince fût en train de négocier avec le cabinet de Saint-James. Mme de Pompadour et Bernis, qui ignoraient tout de ces tractations secrètes, conservèrent leur sang-froid, laissant ainsi penser à l’ambassadeur que cette information était peut-être connue du cabinet français. Partant de cette hypothèse, l’impératrice proposait un traité d’alliance entre l’Autriche et la France et laissait entendre qu’elle serait prête à abandonner une partie des Pays-Bas àdon Philippe, gendre deLouis XV, à condition qu’elle pût rentrer en possession des duchés italiens qu’elle avait perdus. Elle ajoutait qu’elle ne s’opposerait pas à l’élévation au trône de Pologne duprince de Conti, que souhaitait Louis XV.
Assez perplexe,Bernis mit le roi en garde contre un rapprochement avec l’Autriche. Malgré l’annonce officielle de l’alliance anglo-prussienne, Louis XV hésita longtemps avant de s’engager avec Marie-Thérèse. Sur le point de déclarer la guerre à l’Angleterre 5 , il voulait maintenir la paix sur le continent. Après d’interminables tergiversations et un petit chantage de l’impératrice, qui menaçait de renouer avec ses anciens alliés
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