Le temps des illusions
soutenue en Sorbonne et approuvée par les docteurs en 1751. Cependant d’aucuns la soupçonnaient de favoriser le matérialisme athée. Lorsqu’on apprit que ce prêtre faisait partie des rédacteurs de l’ Encyclopédie , les Jésuites se jetèrent sur ses articles et découvrirent ce que qu’ils voulaient y trouver : des germes d’athéisme.
Mgr deBeaumont condamna aussitôt l’ Encyclopédie . Dans un conseil secret tenu par le Parlement, l’avocat généralLefèvre d’Ormesson déclara que les encyclopédistes représentaient « une secte dangereuse ». Les magistrats décrétèrent de prise de corps l’abbé de Prades, qui eut tout juste le temps de quitter la France pour se réfugier auprès deFrédéric II. Un arrêt du Conseil du roi daté du 7 février 1752 supprime et condamne l’œuvre suspectée « d’insérer plusieurs maximes tendant à détruire l’autorité royale, à élever les fondements de l’erreur, de la corruption des mœurs, de l’irréligion et de l’incrédulité ».
Abasourdi par ce coup du sort,Diderot a été sauvé – qui l’eût dit ? – parLamoignon de Malesherbes, le directeur de la Librairie, autrement dit le représentant du chancelier en matière de censure. En effet, M. de Malesherbes est ami des philosophes. Il a personnellement prévenu le maître d’œuvre qu’on allait procéder à la saisie de ses papiers. Comme le malheureux lui a répondu qu’il n’aurait jamais le temps de déménager la totalité de ses manuscrits et d’ailleurs qu’il ne saurait à qui les confier, Malesherbes lui a proposé de les déposer tout simplement chez lui. C’est bien le dernier endroit où l’on irait les chercher !
En réalité, Malesherbes n’a pas pris de grands risques. Il est soutenu parMme de Pompadour. La marquise a l’habitude de rencontrer les philosophes à Versailles même dans l’appartement de son médecin ledocteur Quesnay. Le projet de l’ Encyclopédie l’avait d’emblée séduite. Au moment de la condamnation,Malesherbes la mit dans la confidence.Diderot implora son aide. Elle lui répondit avec une fermeté qui ne laisse aucun doute sur sa loyauté à l’égard de la politique royale, sans pourtant faire mystère du mépris que lui inspirent les dévots. « Je ne puis rien dans l’affaire du Dictionnaire encyclopédique , lui écrivit-elle. On dit qu’il y a dans ce livre des maximes contraires à la religion et à l’autorité des rois. Si cela est, il faut brûler le livre ; si cela n’est pas, il faut brûler les calomniateurs. Mais malheureusement ce sont les ecclésiastiques qui vous accusent, et ils ne veulent pas avoir tort. Je ne sais que penser sur le tout, mais je sais quel parti prendre : c’est de ne m’en mêler en aucune manière. Les prêtres sont trop dangereux.
« Cependant, tout le monde me dit du bien de vous. On estime votre mérite ; on honore votre vertu. Sur ces témoignages qui vous sont si glorieux, je vous crois presque innocent et je me ferais un plaisir de vous obliger en toute chose. La proscription de l' Encyclopédie est un point résolu sur la déposition des dévots, qui ne sont pas toujours justes et vrais. Si le livre n’est pas tel qu’ils le disent, je ne puis que vous plaindre et détester l’hypocrisie et le faux zèle, en attendant que vous m’offriez une occasion de vous être utile. »
Encouragement discret à Diderot etd’Alembert pour la poursuite de leur travail, à condition de se montrer prudents sur le chapitre de la religion et du pouvoir royal.
En petit comité, Mme de Pompadour vantait toujours les mérites de l’ Encyclopédie à Louis XV, en insistant sur le côté pratique de l’ouvrage, et elle a même poussé le soutien à l’entreprise jusqu’à se faire représenter par le pastellisteLa Tour le bras posé sur une console où figurent en bonne place l’ Encyclopédie et L’Esprit des lois . Jamais elle n’aurait osé commander un tel portrait si le roi ne l’avait pas permis. Sans lever la condamnation pesant sur les deux premiers volumes,Louis XV tolère la poursuite de l’œuvre.
Incandescence de l’esprit parisien
Malgré tous les efforts de Mme dePompadour, la vie de l’esprit ne règne plus à Versailles mais à Paris dans les salons, les cafés, les académies… où le monde du savoir cohabite avec celui des mondains. Chaque salon parisien a ses rituels et ses hôtes. La duchesse duMaine est morte le 23 janvier 1753. Avec elle
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