Le temps des illusions

britanniques,Louis XV réunit solennellement ses ministres pour leur exposer la situation et solliciter leur avis. Lecomte d’Argenson, ministre de la Guerre, osa dire qu’il prévoyait le commencement d’un conflit qui risquait d’embraser toute l’Europe mais les ministres, qui avaient fort bien compris que la décision du roi était déjà prise, se résolurent à conseiller l’alliance avec l’impératrice.
    Le 1 er  mai 1756, c’était chose faite.

    Fin de saison
    Leduc de Saint-Simon est mort le 2 mars 1755,Montesquieu le 10 février de la même année,Fontenelle ne va pas tarder à les suivre dans la tombe etMarivaux vieillit. Ils symbolisent tous lesquatre un monde qui s’éteint, mais qu’ils ont contribué à changer. Aujourd’hui les auteurs de l’ Encyclopédie et leurs amis se rassemblent, alertent l’opinion, attisent l’effervescence intellectuelle. Ils sont présents partout, dans les salons, les académies, les antichambres des ministres. Ils ont leurs journaux, L’Observateur littéraire , Le Journal étranger , Le Journal encyclopédique. Le très sérieux Mercure de France vante L’Esprit des lois , et salue d’Alembert, nouveau membre de l’Académie française, comme le modèle du « vrai philosophe ». Les philosophes abandonnent les sujets arides, ils s’intéressent à tout, à la peinture, au théâtre, à l’économie, aux finances… Ils jouissent d’un engouement extraordinaire. On les admire, on les critique ; les beaux esprits veulent être philosophes et les philosophes veulent être beaux esprits. Chacun veut briller. Les livres qui traitent de l’agriculture, de la population, de l’industrie, du commerce, des finances sont dans les mains d’une infinité de personnes qui ne lisaient que des romans. La paix, l’abondance, la population sont reconnues comme les seuls objets de la politique ; la justice, l’humanité pour les premières vertus des héros. Pourtant la frivolité côtoie le sérieux. On discute avec autant de passion de la mode, des petites comédies que d’économie, ou de politique. MaisVoltaire constate avec plaisir que se forme « une république immense d’esprits cultivés » dans toute l’Europe, que les Lumières se communiquent partout et prophétise que cette « révolution des esprits » marquera son époque. À ses yeux, les années écoulées depuis la paix d’Aix-la-Chapelle sont les plus belles qu’on ait jamais connues.
    La France est-elle en train de basculer dans la société rêvée par les hommes des Lumières ? Ils s’en flattent parfois, mais cette effervescence intellectuelle inquiète le pouvoir. Le roi se méfie de cette secte subversive qui attaque la religion et s’en prend à la monarchie de droit divin. Désormais, il tolère à regret la poursuite de l’entreprise encyclopédique. Cependant, les idées évoluent plus vite que les institutions et l’opinion publique devient une force. Emporté par cette dynamique, le Parlement vient de condamner les lettres de cachet qui « portent atteinte aux droits de la nation » : c’est opposer le droit des citoyens à celui du roi. Dans une telle ambiance, cette déclaration annonce une crise de régime alors que les attaques anglaises contre la flotte française etl’alliance avec la très réactionnaire Autriche laissent présager un conflit européen auquel la France n’est pas préparée.
    L’horizon s’assombrit. Le 1 er  novembre 1755, un tremblement de terre a fait disparaître Lisbonne, la capitale du Portugal, et a sérieusement ébranlé l’Espagne jusqu’à Madrid ; des séismes ont détruit plusieurs villes africaines, des fleuves ont débordé en Italie, en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas et en France. Au mois de mai 1756, la terre a tremblé à Paris et en Picardie. Ces cataclysmes naturels passent pour de funestes présages. Balayant la raison, l’émotion est si violente qu’on ose parler de fin du monde !
    1 - Fondé en 1370 par l’évêque de Beauvais rue du Clos-Bruneau (actuelle rue Jean-de-Beauvais), le collège de Beauvais était l’un des hauts lieux du jansénisme fréquenté par beaucoup d’enfants de parlementaires.

    2 - Pierre-Augustin Robert de Saint-Vincent (1725-1799), conseiller à la chambre des enquêtes, janséniste agressif.

    3 - Paul Valéry, in R. Pomeau, Voltaire en son temps, op. cit. , p. 664.

    4 - Voltaire, Dictionnaire philosophique , art. « Confession ».

    5 - Louis XV déclarera la