Le temps des illusions
à succès des Lettres d’une Péruvienne . La jeune Mme Helvétius charme les hôtes de son mari et parvient à détourner les conversations pour leur faireprendre un tour moins sérieux que celui qu’elles ont d’ordinaire. Mme de Graffigny, sa tante, qui fut naguère amie deVoltaire et de Mmedu Chatêlet avant de se fâcher avec elle, reçoit philosophes et administrateurs mais sur un pied modeste.
On s’étonnera qu’on ait aujourd’hui si peu parlé de Voltaire. On ne le voit plus à Paris ni à Versailles. Après la mort d’Émilie, il a résilié sa charge d’historiographe du roi et s’est rendu à la cour deFrédéric II qui souhaitait sa présence depuis longtemps. Il est resté deux ans et demi en Prusse, où il subit les caprices du monarque après avoir été reçu comme un prince et traité avec tous les égards dus à son génie. À Berlin, il a écrit un conte philosophique, Micromégas , et achevé Le Siècle de Louis XIV où il a voulu mettre en valeur ce qu’il appelle « l’esprit des hommes », autrement dit le génie de ce temps. Voltaire « met ce siècle au tombeau mais le dépose dans la gloire 3 » tout en se félicitant que l’esprit philosophique gagne de jour en jour.
Le 26 mars 1753, il a enfin obtenu de Frédéric II l’autorisation de partir prendre les eaux de Plombières pour soigner sa santé toujours défaillante. Mais il n’est pas persona grata en France. Le voilà « entre deux rois, le cul par terre ». Après une longue attente, tantôt à Plombières, tantôt à Colmar, il a acheté un domaine en Suisse près de Genève qu’il a baptisé Les Délices. Il s’y est installé avec MmeDenis au mois de mars 1755.
Apaisement religieux et coup de théâtre diplomatique
Deux ans de purgatoire, voilà qui était censé calmer les ardeurs contestataires du Parlement. Après mûre réflexion et de longues négociations menées par le prince deConti, le roi a décidé de rappeler les exilés. La rentrée des magistrats s’était faite le 4 septembre 1754 sous les acclamations populaires. Ce même jour, ils enregistrèrent une déclaration du roi imposant « silence sur les matières qui avaient fait l’objet des dernières divisions », c’est-à-dire les billets de confession. Il leur était ordonné « de procéder contre les contrevenants, conformément aux ordonnances ». Ces messieurs ne cachèrent pas leur satisfaction ; ils pouvaient interpréter la « loi du silence » dans un sens favorable à leurs prétentions et l’occasion ne tarda pas à se présenter. Le curé deSaint-Étienne-du-Mont (encore lui) ayant refusé d’administrer une ancienne convulsionnaire, le Parlement dénonça l’affaire au roi qui en référa aussitôt à l’inévitable Mgr de Beaumont, lequel soutint le prêtre. Après avoir entendu l’archevêque et le président du Parlement, Louis XV prit parti contre Mgr deBeaumont, qu’il envoya dans sa propriété de Conflans par lettre de cachet.
Ce fut du délire dans Paris lorsque le président Maupeou publia la lettre de S.M. qui déclarait avoir « marqué son mécontentement à l’archevêque de Paris en le punissant de manière à faire connaître la ferme résolution où il était de maintenir la paix dans son royaume ».Louis XV connut alors un regain de popularité, mais la coalition des évêques qui en appelèrent au pape l’inquiétait. Il redoutait que le saint-père ne voulût s’immiscer dans les affaires intérieures du royaume. À Rome, son ambassadeur, le comte de Choiseul, négociait avec Benoît XIV pour que celui-ci ne devînt pas l’arbitre d’un conflit franco-français reposant sur des questions religieuses mais dont les enjeux étaient essentiellement politiques. Il obtint gain de cause lorsque le pape publia une encyclique qui allait dans le sens souhaité par le roi. Elle maintient la constitution Unigenitus , mais supprime l’exigence des billets de confession. On pouvait penser que l’encyclique désarmerait le Parlement. Il n’en fut rien et Louis XV dut réaffirmer devant cette cour que l’ Unigenitus resterait loi d’État. Si le Parlement veut poursuivre sa fronde contre le pouvoir royal, il ne prendra plus le prétexte de la religion. L’affaire des billets de confession semble réglée.
« Ces billets de confession auraient fait naître une guerre civile dans les temps précédents, prétendVoltaire ; mais dans le nôtre, ils ne produisirent que des
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