Le temps des illusions
d’argent appartenant à son amant. On vit même un autre homme d’affaires aller trouver M. Bouvard deFourqueux, procureur général de la chambre de justice : « Je viens, Monsieur, lui dit-il, vous dénoncer un homme qui a cinq millions de biens, mais avant que de vous en dire le nom, je vous prie de m’en assurer le cinquième par un écrit signé de vous, puisque la déclaration du roi le porte. » Le magistrat signa aussitôt le rescrit et attendit la révélation de son informateur, lequel ne se fit pas prier. « C’est moi-même, Monsieur, qui ai présentement cinq millions de biens et je n’avais que huit cents livres quand je commençai à exercer un emploi. Ainsi conformément à la déclaration du roi, voilà un million qui m’appartient pour ma dénonciation qui est juste et sincère. Pour les quatre autres millions, il faudra voir si je les ai bien ou mal acquis dans les affaires où j’ai eu quelque part. » Sidéré par ces propos, M. deFourqueux a tenu parole.
Dénonciations et arrestations se poursuivent à Paris comme en province. Un des suspects s’est suicidé avant d’être invité à comparaître devant la chambre de justice. L’étau se resserre chaque jour autour des manieurs d’argent : le 7 avril, une nouvelle ordonnance interdit aux orfèvres et aux joailliers de leur acheter des objets d’or ou d’argent sous peine d’amende ou de punition corporelle. Le tribunal récupère des millions, mais tout laisse à penser que cela ne suffira pas pour combler le déficit. Il semble cependant que l’on frappe à tort et à travers et ce sont les moins coupables qui subissent les châtiments les plus lourds alors que les plus riches négocient, dit-on, avec l’entourage du Régent pour se faire remettre leur amende. Mme deParabère vient ainsi de toucher une somme rondelette d’un certain Hénaut lourdement taxé. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Ces tractations commencent à se savoir et font un effet déplorable sur le peuple.
Les Français ne sont pas moins préoccupés par la crise de l’Église que par les affaires d’argent, car il y va de leur salut. Il appartient au cardinal deNoailles, oncle du président du Conseil des finances, d’apaiser les esprits du clergé et des fidèles bouleversés par l’interprétation de la bulle Unigenitus . On ne peut imaginer mission plus complexe. C’est une affaire religieuse qui devient politique.
Sujet de controverse depuis plus d’un demi-siècle, le jansénisme alimente les angoisses des clercs, des magistrats, et de l’ensemble des croyants. Ce mouvement est né d’une réaction contre la morale des Jésuites exaltant l’individu dans sa raison et son activité terrestre. Cette morale de l’« honnête homme » fut dénoncée parJansénius, évêque d’Ypres, lequel considérait dans son traité intitulé Augustinus de gratia qu’elle s’opposait à la doctrine des Pères de l’Église. L’Augustinus rencontra un immense écho et fit des adeptes même hors des milieux ecclésiastiques. Il gagna une partie de la haute société parisienne et bientôt les villes de province. Ceux qu’on appela jansénistes revinrent à la stricte observance des préceptes de saint Augustin : rechercher la sainteté dans la vie quotidienne, et la vie spirituelle devint pour eux un impératif. Les couvents jansénistes se firent gloire d’observer scrupuleusement la règle et leurs cérémonies religieuses se déroulaient dans la plus grande sobriété. Port-Royal des Champs, sous la direction de la mère AngéliqueArnauld, fut un modèle qui compta bientôt des émules dans tout le royaume.
Les jansénistes considèrent que le dépôt de l’autorité n’a pas été confié aux papes mais à l’ensemble du corps de l’Église, et ils insistent sur le rôle des évêques : ils doivent faire preuve d’humilité et d’amour pour les déshérités ; ils sont tenus de lutter contre la pauvreté, l’usure, l’oppression des seigneurs féodaux et la dépravation des mœurs. En essayant d’associer dans de mêmes entreprises communautaires nobles, gens de robe, bourgeois et petites gens, ils manifestent une volonté de « démocratisation » de la société. Ils apparurent très tôt comme des défenseurs des droits de la conscience contre l’arbitraire du pouvoir religieux et aussi du pouvoir temporel. Par son individualisme, le jansénisme risquait de devenir un danger pour l’absolutisme.
Louis XIV,
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