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Le temps des illusions

Le temps des illusions

Titel: Le temps des illusions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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Elle le comble de riches habits, de dentelles, de pierreries. Conseillé par son vieux grand-oncle, il mène une vie d’enfer à sa maîtresse. Il se fait désirer, manque ses rendez-vous avec elle, prend un malin plaisir à la rendre jalouse et à la faire pleurer. Elle ne peut plus rien faire sans ses avis toujours changeants. Il l’a récemment forcée à prendre des repas avec des gens obscurs, elle, princesse du sang qui ne peut manger avec aucun homme s’il n’est prince du sang. Et M. le Régent ne dit rien.
    Le duc d’Orléans et sa fille entretiennent d’étranges rapports avec la religion. Le 24 décembre 1715, le Régent assistait à la messe de minuit chez les pères de l’Oratoire rue Saint-Honoré et la princesse à Saint-Sulpice. Elle avait auparavant congédié son confesseur, le père du Trévou, qui est aussi celui de son père. Le dimanche de Pâques, le prince a communié à l’église Saint-Eustache en état de péché mortel. On n’a pas vu la duchesse de Berry. Elle préfère « escroquer » les grandes fêtes comme dit M. deSaint-Simon, lequel a vainement conseillé au Régent de passer quelques jours dans son château de Villers-Cotterets pour éviter ce sacrilège public.
    On s’étonnera sans doute d’apprendre que Mme de Berry, la personne la plus imprévisible de la terre, est parfois saisie d’accès de dévotion. Elle dispose d’un appartement chez les carmélites de la rue de Grenelle où elle fait retraite de temps à autre. Elle peut y passer plusieurs jours d’affilée ; elle assiste alors aux offices de jour et de nuit, jeûne quand il le faut, et s’abîme longuement dans la prière. Deux religieuses encore assez jeunes et qui connaissent le monde s’occupent d’elle pendant ses retraites. Elles ne comprennent pas comment la duchesse de Berry peut se comporter comme une sainte dans leur couvent et mener en même temps une existence aussi scandaleuse. Elles sont devenues assez intimes avec la princesse pour lui parler fermement. Mme de Berry ne se fâche pas et se met à rire. Dès qu’elle franchit les murs du couvent, elle reprend ses habitudes avec le même entrain… ou le même dégoût. Sait-on jamais ce qui peut se passer dans l’esprit de cette égarée ? On vient d’apprendre que sa sœur Mlle deChartres veut entrer au couvent pour ne plus en sortir. C’est pourtant la plus jolie des filles de M. le Régent. Il paraît qu’elle redoute de se voir forcée par sa mère d’épouser lefils aîné du duc duMaine. La duchesse d’Orléans vient de donner une nouvelle sœur à celle qu’elle veut marier. On espérait naturellement un garçon puisque le pâle duc deChartres est le seul héritier des Orléans. Le duc d’Orléans n’a guère d’espoir de voir son vœu réalisé.
    L’exemple donné par le Régent et sa fille autorise tous les excès. On a vu le duc deRichelieu se battre dans la rue avec lefils du maréchal deMatignon à la suite d’une querelle au bal de l’Opéra ; le jeuneCourcillon, fils du marquis deDangeau, refuser de payer au cabaret où il était déjà fort endetté, souffleter la patronne et rouler par terre avec elle en lui arrachant les cheveux… Chez le prince deConti, on s’enivre quotidiennement, ce qui entraîne des rixes entre les invités. Le public murmure et les représentants de la vieille cour s’indignent. Mais que faire ? On jette en pâture à l’opinion quelques débauchés notoires qui ne bénéficient pas de hauts appuis tels que le marquis et la marquise deMorival qui faisaient commerce des charmes de filles de dix-sept à vingt ans. Leurs clients, appartenant à la meilleure société, s’en trouvaient fort satisfaits jusqu’au jour où le prince de Conti attrapa ce qu’on appelle pudiquement un « clou de saint Cosme ». Le prince s’en prit alors aux Morival, qui furent condamnés par arrêt du Parlement le 3 mars 1716 pour avoir fait de leur maison une académie de débauche en corrompant des jeunes filles pour y attirer des jeunes gens de qualité afin de s’y divertir. Le 12 mars, le bourreau fustigea publiquement les coupables nus jusqu’à la ceinture. Ils furent bannis du royaume pour neuf ans. Mais qu’est-ce que cette condamnation au regard de toutes les turpitudes impunies ?
    Le peuple murmure, mais les difficultés de la vie quotidienne l’emportent sur l’indignation. Oserait-on dire que le récit de tant de bacchanales aiguise l’imagination ? C’est un roman sans

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