Le temps des illusions
débats. La guerre que se livrent Jésuites et jansénistes n’est pas près de s’achever et Mgr de Noailles semble déjà débordé par l’ampleur de sa tâche.
Scandales et drames de la misère
De la double vie de M. le Régent, le public ne retient que les scandales. Son exemple encourage la dissipation des princes, des princesses, des nobles de cour et de tous les nantis. Depuis la mort de Louis XIV, Paris est devenue la capitale des plaisirs. Dès le 1 er octobre 1715, les spectacles ont repris. Le 2 janvier 1716, le duc d’Antin, fils légitime de Mme deMontespan, a inauguré lasaison des bals de l’Opéra à la demande du Régent. On a aménagé la salle de façon qu’un plancher actionné par un moulinet s’élève à la hauteur du théâtre, formant ainsi une immense piste de danse. Ceux qui ne veulent pas danser s’installent dans les loges ou sur les gradins des balcons où ils jouissent de la vue et de la musique exécutée par deux orchestres. Les bals ont lieu trois fois par semaine ; ils commencent à huit heures du soir et finissent à six heures du matin. Il faut donner un écu pour y entrer. On y côtoie les milieux les plus divers. Beaucoup de jeunes gens viennent s’y encanailler sous l’œil du Régent lorsqu’il honore le bal de sa présence. Rien de plus simple pour lui : l’Opéra communique directement avec ses appartements du Palais-Royal. Il n’a pas manqué d’assister à l’inauguration du 2 janvier. Il y avait là plusieurs membres des Conseils qui avaient bu plus que de raison. « Descends, Régent ! », cria l’un d’eux au prince, qui ne se fit pas prier. Il dansa tant qu’il put. M. d’Orléans a pris goût à ce nouveau divertissement plus innocent que ses orgies en comité restreint.
On parle beaucoup plus de ses supposées relations incestueuses avec la duchesse deBerry que de sa liaison avec Mme deParabère. Le Régent voue une véritable passion à sa fille, nymphomane, gloutonne et éthylique. Elle se gave de boudins et de saucisses, boit allégrement vin de Pommard et vin de Champagne Elle est devenue si grosse qu’elle ne peut plus danser ; son visage rouge et gonflé accuse ses excès. C’est pourtant une personne intelligente qui s’exprime avec aisance et ne manque pas de charme. Sa grand-mère, la duchesse douairière d’Orléans, en parle comme d’un cheval échappé abandonné à une liberté malsaine ; elle ne tient pas en place. Un jour elle chasse, un autre elle se promène et provoque les passants dans les jardins, un troisième, elle va à la foire ou chez les danseurs de corde. Le Luxembourg, sa demeure, est devenu un vrai tripot. Elle joue comme une folle au lansquenet où elle perd des sommes énormes payées par son père, qui lui passe tous ses caprices. La véritable nature de leurs liens nous échappe : amants ou compagnons de débauche ? Une forme de passion hautement permissive les unit. D’après les gazettes, la duchesse est une nouvelle Messaline. On a envoyé au duc d’Orléans son portrait en cire avec safille dans des attitudes indécentes. Un pamphlet intitulé Les Amusements de la princesse Aurélie raconte l’histoire de ces criminelles amours. Libelles ordurierset poèmes satiriques courent Paris. On emprisonne quelques pamphlétaires et on prend plus de précautions pour d’autres commeArouet qui a cette fois dépassé les bornes de la décence. Dans une épigramme adressée à la duchesse de Berry, il a osé écrire : « Un nouveau Loth vous sert d’époux,/ Mère des Moabites ;/ Puisse bientôt naître de vous Un peuple d’Ammonites ! » Le jeune homme est exilé à Sully-sur-Loire où il a trouvé refuge chez le duc de Béthune, un habitué du Temple. Dans cette austère demeure médiévale, le maître de maison reçoit de jolies femmes et donne des fêtes dignes de celles de Sceaux. Il y a loin de la Bastille à la vie de château.
Depuis peu, Mme de Berry est tombée sous la domination du capitaine de ses gardes du corps, un certainRiom, petit-neveu deLauzun, qui avait jadis défrayé la chronique pour avoir été aimé de la GrandeMademoiselle. Mme de Berry ne ressemble guère à l’orgueilleuse amazone, précieuse et amoureuse, qui s’était rendue ridicule par sa passion pour l’odieux cadet de Gascogne. Mme de Berry assume sa liberté et fanfaronne de vice, mais elle fait preuve d’une incroyable faiblesse pour ce gros garçon boutonneux au teint pâle et court sur pattes.
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