Le temps des illusions
affiché a resserré leur intimité. Une véritable affection les unit.
Le jeune monarque passe le plus clair de son temps avec leduc de Villeroy, son gouverneur etMgr de Fleury, son précepteur. Âgé de soixante-quatorze ans, fidèle compagnon de Louis XIV, médiocre stratège, mais fidèle entre les fidèles, le ducde Villeroy ne présente aucune qualité personnelle pour former un prince à ses devoirs de roi. Vieux mannequin de l’ancienne cour, fin connaisseur de l’étiquette, son intelligence se hausse à distinguer un prince du sang d’un duc et pair. Il se targue de l’ancienneté de ses aïeux dans la charge de gouverneur des rois. Son père fut celui deLouis XIV et son grand-père celui deLouis XIII. Bon sang ne saurait mentir. Imbu de l’importance de son ministère auprès deLouis XV, il veille sur lui avec des attentions de vieillard tatillon. Ses fonctions l’obligent à coucher dans la chambre de son protégé. Le moindre éternuement de celui-ci éveille son inquiétude. Il fait goûter ses plats et garde ses couverts dans une armoire dont il conserve la clé sur lui. Il ne comprend pas les foucades et les colères de l’adolescent. Il ne sait répondre que par des sentences préparées d’avance. S’il était seul à le diriger, le jeune roi deviendrait une marionnette entre ses mains. Le dressage qu’il lui impose n’a pas manqué de surprendre l’ambassadeur du sultan de passage pour quelques semaines à Paris.
« Que dites-vous de la beauté de mon roi ?, lui dit-il.
– Que Dieu soit loué et qu’il le préserve du cativochio [le mauvais œil], répondit l’envoyé du sultan.
– Il n’a que onze ans et quatre mois. Sa taille n’est-elle pas proportionnée ? Remarquez surtout que ce sont ses propres cheveux. »
À ce moment,le gouverneur fit tourner le roi dont la chevelure descendant jusqu’à la taille brillait au soleil.
« Sa démarche est aussi fort belle », reprit-il. S’adressant au roi il lui dit :
« Marchez de manière que l’on vous voie. »
Le souverain, « avec la démarche majestueuse de la perdrix », s’avança jusqu’au milieu de la salle et revint sur ses pas.
« Marchez avec plus de vitesse pour faire voir votre liberté à courir », ordonna le gouverneur. Aussitôt le jeune homme s’élança avec précipitation.
Le duc de Villeroy, satisfait de l’exhibition qu’il avait offerte au diplomate, attendit les félicitations qui ne manquèrent pas.
On comprend mieux ainsi que le roi ait un jour osé frapper son gouverneur. Des sous-gouverneurs assistent le maréchal de Villeroy. Les gentilshommes de la manche (ils ne peuvent toucherle roi qu’à la manche de son habit) lui servent de garde rapprochée et ne doivent jamais le quitter.
Fort heureusement, sa formation intellectuelle et spirituelle est confiée à un homme intelligent, son précepteurHercule de Fleury, évêque de Fréjus. Ce prélat de modeste origine à l’esprit subtil a fait carrière dans l’Église. Il passe pour un prêtre politique. Aumônier de la reineMarie-Thérèse en 1675, il a connu la cour duRoi-Soleil dans sa splendeur. Il a rencontréBossuet etFénelon. Mondain, très bel homme, il ne se préoccupait pas de vivre « selon son état », entretenant plusieurs liaisons avec de grandes dames parmi lesquelles figure Mme deVilleroy. Le duc n’a jamais connu son infortune, mais lui-même avait pour maîtresse laduchesse de Ventadour… Nommé évêque de Fréjus en 1697, Fleury donna sa démission en décembre 1714, refusa l’évêché d’Arles et revint à Paris. Partisan de la bulle qu’il avait adoptée dans son diocèse, il fit alors une cour assidue à Mme deMaintenon et à ses dévotes amies. Grâce à leur insistance,Louis XIV le désigna comme précepteur du futur roi.
Lorsque l’enfant est « passé aux hommes » en 1717, il savait déjà lire, écrire, compter et avait acquis les bases d’une éducation religieuse. Fleury est chargé d’en faire un prince accompli pour sa majorité fixée à treize ans. Il veut qu’il devienne le zélé propagateur de la foi catholique. Aussi lui a-t-il aussitôt donné pour exemple Saint Louis, son lointain ancêtre, dont la vie a toujours été inspirée par un catholicisme rigoureux. Ses vertus chrétiennes l’ont incliné à la justice et à l’horreur de la guerre. Les versions latines choisies pourLouis XV sont le plus souvent tirées de la vie de ce monarque. Il connaîtra sans
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