Le temps des illusions
l’empereur eurent raison des réticences du prince. La conjoncture lui semblait favorable. Leroi d’Espagne acceptait de signer la paix après sa défaite et voulait adhérer à la Quadruple-Alliance. La paix européenne semblait assurée, et, dans cette affaire, le rôle de Dubois avait été considérable. Aussi le Régent se laissa-t-il fléchir.
Au comble de la joie, Dubois accourut chez le prince :
« Tu es un sacre et qui est l’autre sacre qui voudra te sacrer ?, lui demanda-t-il.
– S’il ne tient qu’à cela, l’affaire est faite. Je sais bien qui me sacrera, il n’est pas loin d’ici.
– Et qui diable est celui-là qui osera te sacrer ?
– Voulez-vous le savoir ?
– Eh bien ! qui ?
– Votre premier aumônier qui est là, dehors, il ne demandera pas mieux, je vais le lui dire. »
Duboissortit, prit à part Mgr deTressan, évêque de Nantes, lui dit qu’il venait d’obtenir l’archevêché de Cambrai et lui demanda de le sacrer, ce qu’il accepta aussitôt.
Dans le carrosse qui conduisait leRégent et ses roués souper à Saint-Cloud, l’un d’eux voulut savoir ce qu’il fallait penser du bruit qui courait. « Monseigneur, on prétend que ce coquin de Dubois veut être archevêque de Cambrai ? – Cela est vrai répondit le prince, et cela peut convenir à mes affaires. » Personne ne dit plus rien. Dubois rejoignit la compagnie à Saint-Cloud. Au cours de la conversation, le Régent déclara qu’il avait nommé « le plus grand coquin, le plus grand athée, le plus grand scélérat et le plusmauvais prêtre qu’il y ait au monde ». L’abbé se leva aussitôt, alla baiser la main du prince et le remercia.
D’aprèsSaint-Simon, cette nomination créait « un étrange bruit » : on allait faire archevêque ce clerc débauché qui n’avait pas même reçu les ordres mineurs ! Cependant, Dubois jugeait la situation avec son cynisme habituel. Il pensa tout d’abord se faire ordonner prêtre dans la chapelle du Palais-Royal, mais Mgr deNoailles s’y opposa fermement malgré les représailles qu’il risquait de subir d’un personnage aussi puissant. Sans se décourager, Dubois s’arrangea avec Mgr de Tressan et avec l’évêque de Rouen : le 24 février, il reçut les ordres mineurs et le sous-diaconat dans le vicariat de Pontoise ; le lendemain, le diaconat, et le 3 mars, la prêtrise. L’après-midi du même jour, il se rendit au Louvre pour assister au Conseil, n’ayant pas jugé nécessaire de dire la messe. On ne l’attendait pas. Le prince deConti ironisa, lui fit un sermon cinglant qui ne le troubla guère. Après l’avoir écouté fort calmement,Dubois « lui répondit froidement que s’il était plus instruit de l’Antiquité, il trouverait ce qui l’étonnait fort peu étrange, puisque lui abbé ne faisait que suivre l’exemple de saint Ambroise dont il se mit à raconter l’ordination qu’il étala 2 ». Sans doute Dubois jouissait-il du scandale qu’il causait. Il poursuivit tout naturellement ses activités diplomatiques qui se virent couronnées de succès. La paix avec l’Espagne venait d’être signée à La Haye, le 17 février, etPhilippe V entrait dans l’alliance que Dubois considérait comme son chef-d’œuvre.
Le nouveau prêtre attendait l’indult du saint-père pour être sacré et se préparait à la cérémonie chez son neveu, chanoine de Notre-Dame chargé de l’instruire. Comme à son habitude, il jurait et sacrait en essayant d’apprendre par cœur les versets de l’ introït . « Mordieu, disait-il, je n’apprendrai jamais ce b… de verset-là. »
Dubois obtint les bulles papales au début du mois de mai et son sacre fut fixé au 10 juin. Il invita toute la Cour à la cérémonie et à la réception qui devait suivre. Leduc de Saint-Simon, qui n’était pas invité et heureux de ne l’être pas, ne cessait de crier au scandale. La veille du grand jour, il supplia leRégent de nepas honorer de sa présence un tel sacrilège. Il n’hésita pas à lui dire qu’il aurait l’air de dépendre de ce ministre indigne. Le Régent remercia son ami et l’embrassa. Saint-Simon rentra chez lui rasséréné.
Le nuit suivante, Mme deParabère coucha avec le prince au Palais-Royal, ce qui n’était guère son habitude, le Régent préférant aller chez elle. Après leurs ébats, Philippe lui parla de sa conversation avec Saint-Simon et lui fit part de sa résolution de ne pas assister à la
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