Le temps des illusions
diversement appréciées. Il n’a pas une haute opinion des gentilshommes. « Le grand seigneur, dit-il, est un homme qui voit le roi, qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. S’il peut avec cela cacher son oisiveté par un air empressé ou par un feint attachement pour les plaisirs, il croit être le plus heureux des hommes 3 . » Son jugement sur le pape, traité de « vieille idole qu’on encense par habitude », réjouira les jansénistes et fera rugir les constitutionnaires. De toute façon, à ses yeux, la religion des Français est plus une affaire de politique que de foi. Elle est, pense-t-il, « moins un sujet de sanctification qu’un sujetde dispute qui appartient à tout le monde : les gens de cour, les gens de guerre, les femmes mêmes s’élèvent contre les ecclésiastiques et leur demandent de leur prouver ce qu’ils sont résolus de ne pas croire 4 ».
Le pouvoir des femmes le surprend. Il n’hésite pas à croire qu’elles gouvernent et « se partagent l’autorité ». Il imagine « qu’il n’y a personne qui ait quelque emploi à la Cour, dans Paris ou dans les provinces, qui n’ait une femme par les mains desquelles passent toutes les grâces et quelquefois les injustices qu’il peut faire. Ces femmes ont toutes des relations les unes avec les autres et forment une espèce de république dont les membres toujours actifs se secourent et se servent mutuellement : c’est comme un nouvel État dans l’État ; et celui qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n’en connaît pas les ressorts 5 ». Il semble croire que la fidélité n’est pas leur principale qualité puisqu’il prétend que les Français ne parlent jamais de leur épouse de peur d’en « parler devant des gens qui les connaissent mieux qu’eux 6 ». Il se moque des snobs qui parlent pour ne rien dire et « trouvent mille petits traits ingénieux dans les choses les plus communes 7 ».
Il décrit Paris comme « la ville du monde la plus sensuelle où l’on raffine le plus sur les plaisirs mais où l’on mène la vie la plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche 8 ». Partant de cette constatation, notre Persan fait l’éloge de l’artisanat et de l’industrie qui permettent l’enrichissement général et contribuent à la puissance des États. Il constate d’ailleurs que « les Français ont un air de contentement » à tous les niveaux de la société. Les Lettres persanes fourmillent de détails savoureux, souvent irrévérencieux sur la société. Mais au-delà de la satire, on découvre un nouvel auteur qui semble à la recherche d’un monde fondé sur la nature et la raison. Ce livre connaît un tel succès de librairie qu’on le rééditedéjà.Montesquieu, fêté dans tous les salons parisiens, mène une vie mondaine très active, mais relativement sage comparée à celle de certains de ces grands qu’il épingle.
Petite chronique scandaleuse
LeRégent, qui a entendu parler des Lettres persanes et qui s’en moque, est revenu à Mme deParabère, mais l’étoile de Mme deFallari semble vouloir de nouveau briller. Ce sont des maîtresses « alternatives et consécutives » à ce qu’on dit. Cependant, au début du mois de janvier 1721, les relations du prince avec Mme de Parabère ont pris un tour sordide. La dame a refusé de coucher avec lui parce qu’il fréquentait des filles d’Opéra peut-être atteintes de la vérole. Furieux, le prince a voulu la battre mais elle s’est échappée. Le surlendemain, sans se faire annoncer, il est allé chez elle et l’a trouvée avec quatre charmants jeunes gens. Pris d’une véritable folie, il l’a rouée de coups ; elle s’est relevée pour l’injurier. Revenu honteux et confus au Palais-Royal, il a demandé àNocé d’aller plaider sa cause. Les amants terribles se sont réconciliés. On les a vus ensemble à plusieurs reprises, mais le 6 juin, tout s’est gâté à cause de laduchesse d’Orléans. Elle s’est pourtant toujours montrée compréhensive. Elle n’a pas fait de crise de jalousie comme on aurait pu s’y attendre. Elle a pleuré parce que Mme de Parabère s’est moquée… de ses pots de chambre qu’elle a vus dans sa garde-robe et dans son petit jardin ! On croit
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