Le temps des illusions

sombres pensées. Leduc de Chartres, devenu duc d’Orléans à la mort de son père, vient de se marier. C’est un garçon effacé aux idées bizarres et qui déteste M. le Duc. Son épouse, une charmanteprincesse deBade, est déjà enceinte. SiLouis XV venait à mourir sans postérité, c’est àLouis d’Orléans que reviendrait la couronne. M. le Duc ne jouerait plus aucun rôle et deviendrait le sujet de ce cousin qu’il méprise.Mme dePrie partage les angoisses de son amant. Elle a d’ailleurs un autre sujet d’anxiété :M. le Duc, qui est veuf, doit se remarier. Que deviendrait-elle s’il s’éprenait d’une nouvelle épouse ? Elle s’est mis à la recherche de la perle rare et pense l’avoir trouvée en la personne d’une princesse de modeste naissance,Marie Leszczynska, dont le père fut un éphémèreroi de Pologne. Elle a vingt et un ans et vit pauvrement auprès de ses parents en exil à Wissembourg. Si elle épouse M. le Duc, elle sera soumise à celle qui aura été la bonne fée de ce mariage inespéré. Des pourparlers secrets sont déjà engagés avec Stanislas Leszczynski, le roi déchu, trop content de marier sa fille sans dot. Mme de Prie a envoyé lepeintre Gobert faire le portrait de celle qui sera la génitrice des Condés.
    Cependant, M. le Duc est plus pressé de marier le roi que de se remettre la corde au cou. Sa puissance tient à la vie deLouis XV. Il tremble à la moindre incommodité du jeune souverain qui a été pris d’une grosse fièvre accompagnée de symptômes inquiétants. On l’a saigné deux fois le 20 février 1725. Il s’est rétabli par miracle. Pendant cette courte et violente indisposition, M. le Duc ne vivait plus ; il s’était installé dans l’appartement situé au-dessous du sien. Une nuit, entendant un remue-ménage inhabituel, il se leva précipitamment, monta chez le roi en robe de chambre où le reçutMaréchal, premier chirurgien de S.M. M. le Duc bégaya : « J’ai entendu du bruit… le roi est malade… Que deviendrai-je ? » Maréchal, surpris, tenta de le rassurer. En le raccompagnant, il l’entendit murmurer comme un fou : « Je n’y serai pas repris… S’il en revient, il faut le marier 4 . »
    Cependant le roi aujourd’hui capable de procréer est promis à l’infante-reine qui n’a pas encore huit ans. Elle ne pourra pas donner un héritier au trône avant huit ans ! Louis n’a jamais pu imaginer qu’elle deviendrait un jour son épouse. Sile Régent vivait encore, il défendrait ce mariage avec passion. La réconciliation avec l’Espagne, qui était son œuvre et celle deDubois, se trouvait scellée par cette alliance et celles qu’il avait contractées pour ses filles, Mlle deMontpensier avec leprince des Asturies et Mlle deBeaujolais avecdon Carlos. Le renvoi de l’infante ne risquerait-il pas d’être la cause d’un nouveau conflit ?
    Cependant, depuis un an, bien des changements ont eu lieu de l’autre côté des Pyrénées. Au mois de janvier 1724,Philippe V très dépressif a abdiqué en faveur de son fils, le prince des Asturies, et s’est retiré avec la reine et quelques prêtres dans le château de Saint-Ildefonse afin de préparer son salut. La fantasque princesse des Asturies, épouse de Louis I er , est ainsi devenue reine d’Espagne. On jasait beaucoup sur son compte. Elle se plaisait à aller pieds nus, ce qui est un grand crime dans ce royaume où une femme doit cacher ses pieds comme la partie la plus secrète de son corps. Le roi Philippe l’a sermonnée, mais elle s’est moquée de ses recommandations, si bien qu’elle a été enfermée dans sa chambre sans pouvoir en sortir, mais en y continuant ses excentricités. Les mauvaises langues disent qu’elle se mettait dans le plus simple appareil avec quelques dames de sa cour pour recevoir de jeunes et galants seigneurs. Son époux n’aurait pas longtemps supporté son inconduite s’il n’avait succombé à la variole au mois d’août 1724. Philippe V a décidé de remonter sur le trône et d’expédier en France la veuve de son fils.
    M. leDuc,Morville, le ministre des Affaires étrangères, les maréchaux deVillars et d’Huxelles ainsi que M. deFleury ont discuté longuement du sort de l’infante. Le prince a tranché : la poupée espagnole retournera dans sa famille et il faudra trouver le plus tôt possible une épouse nubile pour le roi. M. de Fleury ne s’est pas opposé au renvoi de la princesse, mais il