Le temps des illusions
« Instruction » qui l’exhorte à la piété, à la soumission et à la discrétion. Une princesse aussi vertueuse aurait besoin de conseils plus avisés. C’est une brebis candide qu’on mène à un adolescent ignorant…
Après un voyage pluvieux où les carrosses se sont plusieurs fois embourbés, la rencontre des deux époux a lieu à Froidefontaine (faudrait-il voir là quelque funeste présage ?) à quelques lieues de Fontainebleau. Cette rencontre obéit à un protocole savamment réglé d’avance. Le roi ne dit rien, mais dévore des yeuxla princesse, dont le maintien modeste et gracieux surprend agréablement la Cour. Tout est prêt pour la cérémonie nuptiale qui doit se dérouler le lendemain, 5 septembre, dans la chapelle du château.
Le matin, la toilette de Marie dure trois heures, mettant à dure épreuve la patience de son mari, qui fait demander à plusieurs reprises quand la reine sera enfin prête. Il a l’air heureux lorsqu’elle paraît à la porte de son grand cabinet dans sa robe de velours violet constellée de diamants. Derrière elle, laduchesse douairière de Bourbon, laprincesse de Conti etMlle de Charolais soutiennent le lourd manteau royal bordé d’hermine. Dans son habit de brocart d’or recouvert d’un manteau brodé de points d’Espagne en fil d’or, le chef couvert d’un chapeau de velours noir où brille le fameux diamant appelé le Régent, le roi semble sorti d’un conte de fées. Son attitude surprend tout le monde ; tout au long de la journée, il se montre très empressé avec sa femme. Le soir, il écoute distraitement Amphytrion et Le Médecin malgré lui et trouve bien long souper et feu d’artifice. Après le coucher solennel à dix heures, il peut enfin laisser libre cours à ses ardeurs.
Les nouveaux époux ne se sont levés qu’à onze heures. Louis a aussitôt envoyé un homme de confiance annoncer auduc de Bourbon qu’il a été sept fois heureux. La nouvelle est bientôt connue de la Cour et de la Ville. Déçu que son Divertissement de circonstance n’ait pas été joué, Voltaire écrit à une amie : « On fait tout ce qu’on peut ici pour réjouir la reine. Le roi s’y prend très bien pour cela. Il s’est vanté de lui avoir donné sept sacrements pour la première nuit mais je n’en crois rien du tout. Les rois trompent toujours leurs peuples. »
Le mariage a transformé le roi. Toujours très assidu auprès de son épouse avec laquelle il passe toutes ses nuits, il a cessé de se livrer à ses plaisanteries douteuses avec son entourage. Il parle volontiers, devient aimable et il a fait couper ses longs cheveux pour porter une perruque. Il découvre avec plaisir queMarie est une excellente cavalière et qu’elle peut le suivre à la chasse. Les fêtes se succèdent à Fontainebleau où la reine attire tous les regards puisque le roi se montre amoureux d’elle. Il vient de lui causer un vif plaisir en permettant auroi Stanislas de s’installer au château de Chambord où il tiendra sa petite cour. Il n’aurait pas été décent de renvoyer à Wissembourg le beau-père du roi de France.
Tout va pour le mieux dans le ménage royal, maisFleury s’inquiète pour la santé deLouis XV. Il voudrait lui imposer desnuits de « jeûne ». Les mariés ont protesté. Ne faut-il pas donner un dauphin le plus tôt possible au royaume ? Fleury se tait. À vrai dire, il est plus préoccupé par les manœuvres deMme de Prie que par les amours de son maître. L’intrigante personne poursuit une stratégie qui vise à éloigner du roi son ancien précepteur en se servant de la reine qu’elle accapare tant qu’elle peut. Elle la cajole pour mieux la conseiller et Marie ne fait rien sans lui demander son avis. Elle n’ose pas parler au roi, qu’elle révère comme un dieu mais qui l’intimide : il est si beau, si puissant et elle se croit si peu de chose à côté de lui ! Elle préfère se confier à la maîtresse du duc de Bourbon qui se flatte d’avoir mis la femme du monarque sous sa tutelle. En dépit des formes protocolaires,Mme de Prie traite la reine en sujette et le roi ne s’en rend pas compte.
Au début du mois de décembre, la Cour est revenue à Versailles. Il faisait nuit lors de l’arrivée des souverains, mais le château était illuminé.Marie monta par l’escalier des Ambassadeurs brillant de mille feux et découvrit l’enfilade des appartements, la galerie des Glaces, avant de parvenir à ses
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