Le temps des illusions
davantage sa maîtresse. Mme de Prie a gagné beaucoup d’argent grâce au système deLaw et elle est maintenant au mieux avecPâris-Duverney sur lequel elle a fondé de grands espoirs.
Mme de Prie a préparé l’élévation du premier prince du sang afin de réaliser ses ambitions personnelles, mais elle n’a pas compté avec M. deFleury. Il ne quitte pas le roi dont il est le maître à penser. Le jeune homme l’écoute ; sans doute éprouve-t-il de l’affection pour ce prêtre qui s’est investi dans un rôle paternel. Cette intimité avecLouis XV, sa participation au Conseil et sa connaissance des affaires lui donnent une force considérable. On se souvient de sa réponse à Saint-Simon venu le sonder surses intentions quelques semaines plus tôt 2 . Il se trouve aujourd’hui dans la situation qu’il avait prévue. M. le Duc gardera les apparences d’un pouvoir qui sera sans doute trop lourd à assumer et M. deFleury attendra son heure. Modeste, respectueux sans obséquiosité, il s’assied à côté du roi pendant le Conseil. Dès les premiers jours du nouveau ministère, il a manœuvré de telle sorte que M. leDuc ne peut rien proposer que de concert avec lui. Les ministres recherchent sa protection et lui soumettent en secret leurs dossiers.
Depuis la mort de son oncle, le roi se sent ivre de liberté. Il s’en remet à M. de Fleury pour les décisions politiques et se conduit le reste du temps comme un adolescent fougueux. Grand et fort, il paraît plus que son âge. Tous ceux qui le voient sont frappés par la beauté de son visage aux traits réguliers, par son regard velouté et la grâce qui inspire tous ses mouvements. Qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, il s’adonne à la chasse avec fureur. Rien ne l’arrête. Il aime aller à Rambouillet chez lecomte de Toulouse où il reste parfois coucher, à Chantilly chez M. le Duc trop heureux de le recevoir. Sur le chemin du retour, il fait halte dans des auberges avec ses compagnons de chasse. Au cours de ces collations, on ne parle que de « rentrée », de « sorties », de « rembûchés » et autres exploits de vénerie. Le roi a prévu de remettre en état le château de Fontainebleau pour y passer plusieurs semaines en automne. Il se couche fort tard, réunit parfois le Conseil à la nuit tombée et on ne sait jamais à quelle heure il se lèvera. Il se livre à de curieuses fantaisies : il s’amuse à couper les cravates ou les chemises des courtisans, arrache leurs perruques et leurs cannes et s’enfuit en riant. Récemment il a rasé les sourcils de trois écuyers et de quelques autres chasseurs. Où a-t-il donc la tête ?
Son entourage immédiat s’inquiète. On vient de découvrir qu’il entretenait une amitié particulière avec le jeune duc de LaTrémoille, premier gentilhomme de la chambre. Cette liaison secrète bientôt connue de toute la Cour laisse de nouveau supposer que le temps des mignons va revenir. Il paraît que le petit La Trémoille « avait fait un complot avec M. le comte deClermont de se rendre tous deux les maîtres des chausses deLouis XV et dene souffrir qu’aucun autre courtisan ne partage leur bonne fortune 3 ». On a envoyéle duc à l’Académie avec son gouverneur pour y régler ses mœurs et sa famille a décidé de le marier. « C’est bien fait ! », a dit sèchement le roi. Curieuse remarque en vérité.
M. deDuc a décidé de lui donner le goût du sexe féminin afin de le ramener dans le droit chemin. Aussi a-t-il organisé un séjour de plusieurs semaines à Chantilly. Le roi s’adonnera tout naturellement à sa passion cynégétique, mais un escadron de dix-sept jolies femmes est chargé de le charmer et l’une d’elles devra obtenir son pucelage. Elles chasseront le chasseur. En attendant le départ, elles font de folles dépenses en toilettes.
Déception ! Toutes les belles en furent pour leurs frais ; le monarque est resté de marbre. Il a passé ses journées à la chasse, ses soirées à table et ses nuits au jeu. Un drame a achevé d’assombrir les fêtes : leduc de Melun a été tué par un cerf. Le roi a regagné Versailles le 1 er août 1724. Il s’ennuie et rêve de Fontainebleau. Seuls les chansonniers sont heureux. Ils rimaillent à plaisir sur le voyage de Chantilly :
Que fait-on de ces gueuses
Qu’on mène à Chantilly ?
Quoi pour un pucelage,
Fallait-il tout ce train
De dix-sept putains ?
Il faut marier le roi
M. le Duc roule de
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