Le temps des illusions
princesses. Elle parle six langues dont le français ; elle a beaucoup lu et possède des connaissances en histoire et en théologie. Sa vie mondaine a beaucoup souffert des déboires familiaux, mais elle maîtrise les usages de la Cour. L’élection contestable de son père au trône de Pologne suivie par une série d’échecs rocambolesques l’ont contrainte à partager l’existence aventureuse de ses parents. Depuis que leRégent a permis aux Leszczynski ruinés de s’installer à Wissembourg 6 en 1719, ils habitent une maison patricienne de la ville et vivent d’une modeste pension versée par le roi. Stanislas voulait marier dignement sa fille. Des pourparlers avaient échoué avecLouis-Charles Le Tellier, petit-fils de Louvois, et avec leprince de Bade. M. le Duc était son dernier espoir… Mais leciel (!) en a décidé autrement.Marie ne cesse de remercier Dieu, mais elle est hantée de la crainte qu’une couronne terrestre lui fasse perdre celle du ciel. Douce et soumise, éblouie par cette union inattendue, elle ignore tout des ruses du sexe féminin et sera sans nul doute trop loyale pour se défendre contre les intrigues de Versailles.
La nouvelle a semé la consternation à la Cour comme à la Ville. On se serait cru un jour de deuil. Seul le roi paraissait content. Il partit chasser à Marly de sorte qu’il évita les compliments de circonstance. Depuis lors courent les plus folles rumeurs : la future reine aurait les doigts palmés, des humeurs froides, elle serait même épileptique. Pour en avoir le cœur net, on a envoyé des praticiens à Wissembourg. Leur verdict est tout à fait rassurant. La princesse jouit d’une parfaite santé et possède toutes les qualités propres à donner une belle progéniture à son époux. Quel soulagement !
On prépare les noces royales avec fébrilité. La future reine souhaiterait que le mariage fût célébré le jour de la Vierge, le 15 août. Personne ne songe à la contrarier, mais ce sera le mariage par procuration :Mgr de Rohan, évêque de Strasbourg, officiera, et leduc d’Orléans représentera le roi de France à cette occasion.Mme de Prie s’active. Avec M. le Duc, elle procède au choix des personnes qui composeront la maison de la reine, toutes des libertines qui lui sont dévouées. Elle veille aux apprêts du trousseau. On s’aperçoit à cette occasion queMarie n’a qu’une seule paire de souliers digne de ce nom !Mme de Prie veut être près de la princesse lorsqu’elle arrivera à Strasbourg afin de bien la chapitrer et de la mettre en garde contre les pièges qui se trouveront sur son chemin. Mais elle tient surtout à placer la jeune femme sous sa protection, autrement dit sous son autorité. Personne n’est dupe de ses intentions. D’une longue parodie de L’École des femmes qu’on se passe sous le manteau on peut retenir ces quelques vers significatifs :
Marie, écoutez-moi : laissez là le rosaire,
Et regardez votre ange tutélaire.
Notre roi vous épouse, et cent fois la journée,
Vous devez bénir l’heur de votre destinée
Qui de l’état obscur de simple demoiselle
Sur le trône des lis par mon choix vous appelle.
Nous vous tiendrons toujours sous notre dépendance,
Et nous aurons toujours la suprême puissance.
Louis est un enfant qui n’est roi que de nom ;
Le véritable maître est le duc de Bourbon.
Mais si par un énorme et funeste attentat,
Vous vouliez nous ravir le timon de l’État,
Le renvoi de l’infante est la preuve certaine
Qu’à rompre un autre hymen on n’aura pas de peine,
Et nous aurons toujours de meilleures raisons
Pour vous faire revoir vos choux et vos dindons.
À Versailles on prépare le roi à son rôle d’époux. Louis ne se fait semble-t-il qu’une très vague idée du mariage et n’a toujours manifesté aucun goût pour le sexe féminin. Afin d’éveiller ses désirs,M. de Fleury (!) fait mettre sous ses yeux des images lascives. Son valet de chambre charge un artiste d’exécuter des dessins de la nature en action. On recherche des sculptures érotiques que le jeune prince pourra examiner et palper tout à loisir. Douze tableaux représentant les amours des patriarches sont accrochés dans sa chambre afin de lui suggérer des idées voluptueuses : c’est une succession de scènes décrivant les progrès de l’entreprise amoureuse.
Les sept sacrements
Avant son départ de Wissembourg,Stanislas remet à sa fille une longue
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