Le temps des illusions
sa tête soudain se pencha fort en avant. Comme Mme deFallari s’approchait de lui, il se renversa sur le dossier et tomba sur le parquet. Il suffoquait. La duchesse appela au secours, on accourut. C’était une attaque d’apoplexie. M. Chirac le fit aussitôt saigner mais ce fut inutile.Il ne reprit pas connaissance et mourut à sept heures du soir sans avoir prononcé une parole.
M. leDuc alla aussitôt annoncer la nouvelle au roi, qui pleura. Le prince ne laissa pas le temps au souverain de revenir de sa douloureuse surprise. Il lui demanda la succession du duc d’Orléans en tant que Premier ministre.Louis XV accepta et M. le Duc prêta serment entre les mains de S.M.
1 - Marais op. cit ., t. II, p. 316-317.
2 - Le château de Basville était situé entre Dourdan et Arpajon.
3 - Il s’agit des officiers en charge des chiens de la Chambre du roi.
4 - Saint-Simon, op. cit. , t. VIII, p. 504-505 (éd. de la Pléiade).
5 - A.A.E. Rome, t. 649, fol. 121, cité par Dom Leclerq, Histoire de la Régence pendant la minorité de Louis XV , Paris, E. Champion, 1921, t. III, p. 420.
6 - Le président Hénault, Le Président Hénault et Mme du Deffand , Paris, Calmann-Lévy, 1893, p. 125-128.
7 - Buvat, op. cit ., t. II, p. 461.
Chapitre VII
Une régence prolongée
Incertitudes
À Versailles, on ne pleure guèrePhilippe d’Orléans, même si certains se plaisent à louer sa bienveillance, son immense culture et son intelligence. L’hypocrisie l’emporte chez la plupart des courtisans. Louer un impie aux mœurs dissolues n’est pas de bon ton. La Cour porte le deuil de circonstance sans tristesse. La vie privée du prince, son mépris de la religion ont trop scandalisé les dévots – partisans des Jésuites ou jansénistes – pour qu’ils éprouvent la moindre compassion. Ils ont tous poussé un soupir de soulagement ! Les parlementaires se réjouissent de la disparition d’un régent qui a mis des bornes à leur autorité. Les Français lui reprochent ses richesses mal acquises, la ruine de trop de monde et la hausse des prix. Seuls les souverains d’Europe regrettent l’artisan de la paix.
M. leDuc qui lui succède ne jouit d’aucun prestige et n’est pas aimé. Sans le prendre pour un parfait imbécile comme le penseSaint-Simon, tout laisse à penser que ses compétences sont faibles. On peut craindre que lamarquise de Prie, sa maîtresse, veuille gouverner à sa place. Fille deBerthelot de Pléneuf, un traitant fort riche, assez habile pour s’être allié aux familles les plus distinguées de la robe, elle a épousé à quinze ans lemarquis de Prie. Elle a tout ce qui séduit un homme : une taille élégante, un visage fin et plein de douceur, beaucoup de distinction, une voix légère etde l’esprit. Cette jeune femme n’a pourtant rien d’une évaporée. Elle s’intéresse à la politique et s’est initiée aux affaires dès son mariage lorsque son mari fut nommé ambassadeur à Turin. Trois ans plus tard, en 1718, il l’envoya solliciter une pension du Régent ! Ils savaient tous deux ce que cela signifiait. Elle ne laissa pas le duc d’Orléans insensible. Il coucha avec elle, mais ne la garda pas auprès de lui. Il avait compris qu’une grande ambition animait ce joli corps et qu’elle voulait bien plus qu’elle ne sollicitait. Philippe d’Orléans ne tenait pas à mêler les affaires de sexe avec celles de l’État. Il ne souhaitait que des compagnes de plaisir et fuyait les femmes d’influence.
Mme de Prie ne se laissa pas impressionner par cet échec. Elle se tourna vers M. leDuc et le rendit fou amoureux d’elle. Quand elle se vit sur le point de devenir la maîtresse en titre de ce prince borgne, au visage grêlé, aux jambes maigres comme celles d’un héron, elle eut un haut-le-cœur. Son ambition allait-elle l’entraîner à supporter un homme qui la dégoûtait ? Il faut dire qu’entre-temps, elle avait cédé aumarquis d’Alincourt qui lui plaisait bien davantage. M. d’Alincourt, on le voit, s’était reconverti aux amours avec le sexe féminin 1 . Elle le sacrifia en pleurant et céda au premier prince du sang… qui s’émerveille encore d’avoir une telle maîtresse. Elle l’engagea à s’intéresser sérieusement aux affaires de l’État, l’instruisit de tout ce que l’on colportait contre le Régent et fit de son nouvel amant un personnage dont le duc d’Orléans finit par se méfier tout en redoutant
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