Le temps des illusions

fouette cocher dans une berline très ordinaire à travers les plaines d’Allemagne. De la discrétion, de la discrétion…
    Le même jour, un sosie de Stanislas, lecommandeur de Thianges, embarque à Brest sur un navire de guerre qui se dirige vers le port de Dantzig. En apprenant cette nouvelle, les Russes ont mis leur flotte en alerte sur la Baltique afin de couper la route au prétendu-prétendant.
    Le 8 septembre,Stanislas pénètre dans le plus grand secret à l’ambassade de France à Varsovie. Lemarquis de Monti transmet aussitôt des messages à ses partisans afin de préparer l’élection le plus vite possible. Deux jours plus tard, très ému, Stanislas franchit le seuil de l’église Sainte-Croix bondée de monde. Les nobles se précipitent pour lui baiser la main avant la messe solennelle célébrée par le primat de Pologne, Mgr Potocki, qui adjure ses ouailles de ne pas se laisser intimider par les menaces des puissances voisines. Stanislas pressent la victoire.
    Après bien des tractations, le 12 septembre, la diète d’élection se prononce en sa faveur. Élu roi de Pologne pour la deuxième fois, Stanislas savoure son bonheur pendant le Te Deum dans la cathédrale. Le jour même, il reçoit la noblesse au palais royal.Justice et gloire lui sont rendues. L’ambassadeur de France envoie aussitôt un courrier à Versailles qui arrive le 20 dans la soirée.Louis XV, qui s’était déjà retiré dans ses appartements, ouvre le paquet, se rend chezla reine et l’embrasse. On ne pouvait rêver meilleure nouvelle.
    Le couple royal se congratule, mais il ignore que le pouvoir du nouveau souverain est déjà gravement menacé. Son règne risque d’être encore plus éphémère que le précédent. Dès le lendemain de son élection, plusieurs seigneurs réunis de l’autre côté de la Vistule ont jugé son pouvoir illégal et désignéAuguste de Saxe, fils d’Auguste II, comme souverain. Sans doute ont-ils été achetés par l’or des Saxons, mais tout laisse à penser que les pressions des Autrichiens et des Russes désireux de mettre en tutelle cet État indiscipliné ont déterminé cette noblesse insolente à se rallier à Auguste III. Les Russes ont aussitôt envoyé une armée et les partisans de Stanislas se sont éparpillés comme une volée de moineaux. Persuadé qu’il va être soutenu par la France, le 22 septembre le beau-père de Louis XV a pris la route de Dantzig où il est arrivé sain et sauf. Le 5 octobre 1733,Auguste III a été proclamé roi de Pologne.

    Mourir pour Dantzig ?
    À Versailles,Marie pleure, le roi s’interroge sur la conduite à tenir etFleury n’a pas l’intention d’entraîner la France dans la défense d’une cause hasardeuse. Aucune déclaration française en faveur deStanislas n’a été faite jusque-là. Le navire sur lequel avait embarqué le faux prétendant a reçu l’ordre de rebrousser chemin sans qu’un seul coup de canon eût été tiré. Cependant, Fleury ne reste pas inactif. Il s’assure de la neutralité anglo-hollandaise, signe une alliance avec la Sardaigne et une autre avec l’Espagne, ces deux puissances ayant des comptes à régler avec l’Autriche. Enfin le 10 octobre,Louis XV, ne pouvant porter les armes contre les Russes, déclare la guerre à leur allié l’empereurCharles VI, prétextant qu’il ne peut pas rester insensible à « l’injure » faite à son beau-père. Une armée sous le commandement dumaréchal de Berwick envahit la Lorraine, passe en Alsace qui est française et met le siège devant Philipsbourg. Uneautre armée, sous le commandement dumaréchal de Villars, franchit le Mont-Cenis, rallie les Sardes, s’empare de Novare et de Pavie, entre dans Milan et livre la Lombardie autrichienne au roi de Sardaigne. Les Français sont partout victorieux des Autrichiens.
    Pendant ce temps, Stanislas attend sa délivrance. Les Russes ayant mis le siège devant Dantzig au mois de février 1734, il eût été malséant de ne pas se porter au secours du père de la reine de France. Aussi Fleury juge-t-il à propos d’envoyer une petite flotte avec 1 500 hommes qui n’a en réalité aucune chance de l’emporter. Les troupes françaises, très mal équipées, se font mitrailler par les Russes qui en même temps pilonnent Dantzig. Auguste III, couronné à Varsovie, rallie l’armée russe devant Dantzig. Épuisé, souffrant d’hémorroïdes, Stanislas refuse de se rendre et s’enfuit le 27 juin vers