Le temps des illusions

fille.
    Stanislas est tout le contraire d’un reître. Les circonstances ont fait de ce gentilhomme cultivé un roi errant dans l’Europe des monarchies absolues, une sorte d’aventurier sympathique et baroque, simple dans ses mœurs, capable de s’adapter aux situations les plus imprévues. C’est un prince philosophe, un original qui n’a pas abandonné son vieux rêve polonais. La sinécure toute relative de Chambord ne fait pas son bonheur. Il s’ennuie au milieu des brumes de l’Orléanais, oublié dans un château qui ressemble à celui de la Belle au bois dormant. À cinquante-six ans, il aspire à de nouvelles aventures. Le 3 février 1733, la mort du roi de PologneAuguste II, son rival qu’il a toujours considéré comme un usurpateur, lui a donné un fol espoir. Les magnats vont procéder à l’élection d’un nouveau monarque. Il veut se porter candidat. Le temps est venu de prendre sa revanche, mais il a besoin d’appuis. Son meilleur allié,Chauvelin, le ministre des Affaires étrangères 1 , est aussitôt entré en relation avec lui. Il souhaite que la France soutienne son élection au trône de Pologne. Les rois de France ont besoin d’alliés susceptibles de prendre à revers la puissante maison d’Autriche. En outre, des liens d’amitié unissent traditionnellement la France et la Pologne. En 1697, il avait été question de faire du prince deConti un roi de Pologne.
    Cependant, le dessein de Chauvelin déplaît àFleury. Il redoute tout ce qui pourrait mettre en danger le fragile équilibre européen. Pour l’heure, il s’inquiète du projet de mariage entre l’archiduchesseMarie-Thérèse d’Autriche, héritière de son père l’empereurCharles VI, avec le duc François deLorraine qui vit à Vienne depuis dix ans. Si ce mariage se fait, François de Lorraine deviendra empereur, et la Lorraine enclavée dans le royaume de France, et ô combien convoitée, sera rattachée à l’Autriche. Le cardinal mesure le danger que représentent les Autrichiens installés en Lorraine. Ce n’est pas le moment de soutenirStanislas pour un trône hypothétique. À moins qu’on ne puisse lier les deux affaires au bénéfice de la France ? Le cardinal ne cesse d’y penser.
    Depuis le mois de février, Stanislas se tient au courant du mieux qu’il peut des événements de Varsovie. L’Autriche et la Russie, les puissances voisines de la Pologne, soutiennent la candidature d’Auguste de Saxe, fils du défunt roi, et ne veulent pas entendre parler de l’ex-roiStanislas. Cependant, un parti pro-français s’est formé autour de l’ambassadeur de France, lemarquis de Monti. En France existe un courant favorable à Stanislas. Si le père de la reine montait enfin sur ce trône qui lui a échappé,Marie serait sans doute mieux considérée etLouis XV éprouverait moins de hauteur à l’égard des Leszczynski. Finalement, après de longs entretiens avec lecardinal, le roi a décidé d’aider Stanislas pour la plus grande gloire de Marie, laquelle s’abîme en prières pour la réussite de son père. Un plan secret est préparé.
    Le 19 août 1733, la reine accueille ses parents à Trianon où ils s’installent lors de leurs visites à Versailles. Douces retrouvailles en famille où l’on parle à cœur ouvert.Louis XV, qui est à Compiègne, ne fera qu’un saut de quelques heures à Versailles pour donner les dernières instructions à son beau-père. Avant de quitter ce trop beau gendre, Stanislas lui recommande les siens. On ne connaît pas la réponse du roi aussitôt reparti pour La Muette au grand désespoir de Marie. Ses parents ont essayé de la consoler. L’étrange situation de son père lui permet de garder avec sa famille un lien dont aucune souveraine, aucune princesse n’a pu jouir jusqu’alors. Ces relations entretenues dans la plus grande simplicité donnent une certaine douceur à son existence. Cependant, en ce moment décisif Stanislas ne pense qu’à sa revanche et à sa gloire. Tout fringant, avant son grand voyage, il est allé à Meudon embrasser ses petits-enfants qui profitent là d’un air jugé meilleur que celui de Versailles.
    Une nouvelle aventure commence pour ce roi en quête d’un royaume.
    Le 26 août, coiffé d’une perruque brune, revêtu d’un vilain habit de drap noir, Stanislas endosse le rôle d’un commis accompagnant un marchand allemand jusqu’en Pologne. Le prétendu marchand n’est autre que son ami, lecomte d’Andlau. Et