Le temps des illusions
l’ouest habillé en paysan. Le 3 juillet, il trouve asile en Prusse où le roiFrédéric-Guillaume le reçoit et l’héberge au château de Königsberg. Le 9 juillet, Dantzig capitule.
Fleuryest satisfait. Il n’a jamais cru au succès de Leszczynski mais cette guerre rapide, assez peu coûteuse en vies humaines et en argent, va lui permettre de négocier pour obtenir la Lorraine. Il est prêt à reconnaître la pragmatique sanction qui fait de l’archiduchesse Marie-Thérèse l’unique héritière de l’empereur pour recevoir cette province plusieurs fois occupée, mais jamais acquise. Quant àStanislas, ce perpétuel vaincu, on pourrait lui offrir un gouvernement purement honorifique à la tête de cette province qui reviendrait au royaume à sa mort. Son honneur serait sauf et la Lorraine deviendrait en quelque sorte la dot de la reine. Tel est le projet de Fleury. Il va falloir négocier habilement avec les représentants des puissances engagées dans cette guerre.
À Versailles,Marie se désole. Fleury la traite toujours avec la même hauteur polie sans lui donner d’informations précises. Il a cependant eu la délicatesse de faire imprimer à son intention une fausse gazette pendant le siège de Dantzig pour la ménager durant sa nouvelle grossesse. Elle correspond avec son père, qui lui fait part de ses doutes et de sa tristesse tout en essayant de la rassurer. Marie a pleuré en apprenant que le jeunecomte de Plélo, ambassadeur de France à Copenhague, a réuni quelques volontaires et s’est jeté dans le combat qui a décimé la petite flotte française venue au secours de Stanislas. Les Russes ont rendu le corps du gentilhomme breton percé de coups de baïonnette pour défendre une cause perdue d’avance. La reine a pleuré aussi en apprenant la mort de son confident, le vieuxmaréchal de Villars, qui s’est éteint à Turin, épuisé par l’âge et la maladie. Le 27 juillet, elle a accouché d’une fille,Madame Sixième. Le roi, déçu, a décommandé les fêtes prévues au cas où un fils serait né. D’ici quelques mois on apprendra sans doute que la reine est de nouveau enceinte.
La divine Émilie
Stanislasavait raconté àVoltaire son épopée aux côtés duroi de Suède, lorsque le poète écrivait sa biographie de Charles XII. L’ex-roi de Pologne est d’ailleurs l’un des héros de ce livre qui l’a rendu populaire en France. Cependant, aujourd’hui, Voltaire ne se passionne plus pour ses aventures ; il a le cœur en fête comme un jeune homme. À près de quarante ans, il ne croyait plus à l’amour, mais il est tombé sous le charme puissant d’une femme d’exception. Aucune maîtresse n’a ému son cœur et ses sens commeÉmilie de Breteuil, marquise du Chatêlet. Ils se sont rencontrés à l’Opéra au mois de mai 1733, présentés l’un à l’autre par un ami commun. Coup de foudre entre ces deux êtres d’essence supérieure. Quelques jours plus tard ils étaient amants. « Je vous adore, ma chère Uranie ! Pourquoi si tard m’avez-vous enflammé ? », lui déclara-t-il. Libre de toute autre attache, il se dit « enivré de bonheur et d’amour » et s’extasie « sur les plaisirs qu’il goûte dans ses bras ». Grande, sculpturale, pleine de vie, Mme du Chatêlet se donne avec passion. Elle a trouvé celui qu’elle attendait. Avec lui, elle n’a pas besoin de jouer le rôle que la société lui impose. Fête des corps et de l’intelligence où l’un est l’autre.
En réalité, Émilie connaît Voltaire depuis son enfance. Alors qu’il n’était que François Marie Arouet, un jeune homme à l’esprit flamboyant, il avait été remarqué par lebaron de Breteuil, le père d’Émilie, qui l’avait admis parmi les familiers de son hôtel, place Royale, où il recevait les beaux esprits de la Régence. Il l’invitait même en Touraine dans son château de Preuilly pendant la belle saison. Gabrielle Émilie n’était alors qu’une petite fille pour laquelle son père manifestait beaucoup d’affection. Dépourvu des préjugés habituels concernant l’éducation des filles, marié surle tard, il a refusé de la mettre au couvent comme le veut l’usage pour les jeunes personnes de son milieu. Elle participait à la vie mondaine de ses parents ; aussi avait-elle maintes fois écouté Voltaire. Lebaron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs à la cour deLouis XIV, voulut faire suivre à sa fille les mêmes études qu’à ses
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