Le Testament Des Templiers
capitaine. Le soldat se moquait de lui, tout en restant sur ses gardes et sans très bien savoir ce que l’autre allait faire.
Soudain, Nivard le gifla violemment sur la bouche du dos de la main. L’homme sentit le goût du sang sur sa lèvre.
Un sabre sortit de son fourreau.
L’abbé et Barthomieu se précipitèrent pour tirer Nivard en arrière, mais c’était trop tard.
On entendit le petit bruit écœurant de la chair qu’on transperce.
Le capitaine paraissait surpris de son propre geste. Il n’avait pas eu l’intention de tuer un vieux moine, mais il brandissait le sabre ensanglanté, tandis que le malheureux prêtre était à genoux, se tenant le ventre, les yeux au ciel, et prononçait ses dernières paroles. « Bernard. Mon frère. »
Pris de fureur, le capitaine ordonna qu’on fouille l’abbaye et qu’on la saccage. Gobelets et chandeliers en argent furent confisqués. Des lames de plancher soulevées pour chercher le trésor des Templiers. Les moines subirent les pires insultes et furent bousculés comme des chiens.
Dans l’infirmerie, frère Michel tremblait comme un lièvre effrayé pendant que les soldats retournaient les lits et fouillaient les étagères. Il avait travaillé dur pendant d’interminables décennies en tant qu’assistant de Jean, et quand le vieux moine avait trouvé la mort sous une mule, il avait fini par devenir l’infirmier de l’abbaye. Cent cinquante ans était un laps de temps très long pour progresser dans la hiérarchie, et il avait enfin pu respirer au moment de son ascension.
Michel essaya de se rallier les faveurs des soldats en leur montrant un beau crucifix incrusté de pierres précieuses et un calice en argent qui avait appartenu à son ancien maître ; quand ils furent partis, il s’assit sur un lit en respirant péniblement.
Une fois les soldats épuisés par leurs exactions, le capitaine déclara qu’il ferait un rapport au conseil du roi. L’abbé de Ruac viendrait avec eux, que les moines soient d’accord ou non. Il y aurait une enquête, ils pouvaient en être certains. Si cet homme, Nivard, avait effectivement été un Templier dans sa jeunesse, le prix à payer serait encore plus élevé.
Barthomieu ne fut pas autorisé à toucher son frère mort avant le départ des soldats. Il s’assit à côté de lui, prit sa tête sur ses genoux et caressa sa frange grise. Il murmura à travers ses larmes : « Au revoir, mon frère, mon ami. Nous avons été frères pendant deux cent douze années. Combien de frères peuvent en dire autant ? J’ai bien peur de te rejoindre bientôt. Je prie pour que nous nous retrouvions au ciel. »
Au cours des semaines suivantes, les quelques visiteurs qui se rendirent à l’abbaye de Ruac rapportèrent tous les mêmes témoignages. Partout en France, les Templiers étaient torturés et brûlés sur le bûcher. Il y avait un déchaînement de violence dans tout le pays. Les bâtiments appartenant aux Templiers ainsi que leurs terres étaient saisis. Et tous ceux que l’on soupçonnait d’avoir des liens avec l’ordre étaient exécutés.
Lors de ses deux cent vingt années de vie, Barthomieu n’avait jamais prié aussi intensément. Pour le monde extérieur, il ressemblait à un homme dans sa sixième décennie, septième peut-être. Il donnait l’impression d’avoir le sang vif. Mais il savait que ce serait sa dernière année. Le pape avait installé un tribunal de l’Inquisition à Bordeaux. On racontait dans les campagnes que leur abbé avait eu les os brisés avant d’être brûlé et que les torches humaines se multipliaient un peu partout.
Que devait-il faire ? Si l’abbaye de Ruac était saisie, si les moines subissaient le martyre en raison de leur allégeance à Bernard, qu’adviendrait-il de leur secret ? Disparaîtrait-il en même temps qu’eux ? Devait-il être mis à l’abri pour l’éternité ? Il ne restait plus personne d’aussi sage que lui. Jean était mort depuis longtemps. Nivard était mort. Son abbé était mort. Il devait prendre sa décision tout seul.
Au cours de toutes ces décennies, il avait acquis de nombreux savoir-faire, mais surtout ceux de scribe et de relieur, et il ressortit d’une séance de prière agitée avec la ferme résolution de mettre ses talents en pratique. Il ne lui appartenait pas de décider de ce que deviendrait leur grand secret. C’était à Dieu d’en décider. Il serait l’humble scribe de Dieu. Il écrirait
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