Le train de la mort
midi.
— Combien sont-ils à partir ?
— Je ne sais pas. Personne ne sait. Plus de deux mille xxxi .
9 h 40 – Compiègne gare .
Alfred Pâques, responsable des manœuvres, envoie les deux tronçons du 7909 sur les voies IV et VI.
Pour tout le personnel français de la gare de Compiègne, le 7909 est considéré comme le dernier train de déportés. Les bruits les plus fantaisistes circulent du côté des « marchandises » : « Les voies vont être bombardées. » « Ils vident entièrement le camp. » « La Résistance va attaquer au moment de l’embarquement »
Muller et Kruchen, avant de remettre le 7909 aux deux officiers S.D. xxxii qui sont annoncés pour 15 heures effectuent une dernière vérification.
Voie VI.
— Fourgon avec frein de queue.
— Plate-forme.
— Voiture pour escorte.
Les deux hommes avancent lentement sur les pavés du quai.
— Quinze wagons de marchandises, vigie au 5, 10, 15.
— Parfait. Voiture des officiers.
Ils rebroussent chemin.
Voie IV.
— Wagons de 16 à 32.
— Vigie au 20, 25, 30. Wagon d’escorte entre 25 et 26.
Voici donc les trente-sept éléments en place. Et cette disposition particulière du quai de départ – des deux quais de départ – explique l’impossibilité dans laquelle se trouveront, le lendemain, les déportés de reconnaître exactement la position qu’ils occupent dans l’ensemble du convoi. En effet, ceux qui grimperont dans le dernier wagon de la voie IV, ou le premier de la voie VI, après le raccordement des deux tronçons, seront au milieu du train.
10 heures – Compiègne.
Camp de Royallieu.
Les médecins prisonniers, affectés à l’infirmerie et désignés pour le « prochain » départ, en liaison avec le Comité clandestin de Résistance, « fabriquent » à tour de bras des « intransportables » :
— L’infirmerie xxxiii est pleine comme un œuf de tous ceux que nous avons pu camoufler. Tant de faux malades pour l’Armée Secrète, tant pour le Parti Communiste, tant pour les autres organisations gaullistes. Quelques places restent libres : Jacquet xxxiv reçoit huit centimètres cubes de Propidon xxxv dans la fesse, monte à quarante, fait un phlegmon… et sera tout juste disponible pour le dernier convoi de Buchenwald. Turruel, secrétaire national du syndicat des mineurs fait une dysenterie « coloniale » xxxvi . Un commandant de l’A.S. fait une diphtérie au crayon de nitrate d’argent, mais au prélèvement bactériologique positif, grâce à une vraie diphtérie providentielle du voisin. Un vieux monsieur, que je ne connaissais que par l’estime qu’il avait forcée par son sens civique, refuse, et me dit d’en choisir un autre. Pour le docteur Fuchs, ça ne marche pas : l’infirmier a flairé quelque chose de suspect dans sa fièvre ; il embarquera avec son Propidon mal placé.
Comme embarqueront une vingtaine de mâchoires fracturées par la Gestapo, des côtes brisées, des fesses éclatées, deux jambes dans le plâtre, un grabataire et Jean Hoyoux. Jean Hoyoux considéré comme un véritable « miraculé ». Son aventure vaut une parenthèse :
— Je m’appelle xxxvii Hoyoux Jean ; né à Paris (13 e ) le 13 août 1917. Je suis de nationalité belge. J’ai rejoint les Forces belges de Grande-Bretagne en quittant Liège le 13 février 1942, jour de ma libération de la prison Saint-Léonard où j’étais interné pour sabotage et propagande ennemie. Mis au secret pendant trois mois, je me suis bien défendu et, faute de preuves, ils me libérèrent. Je savais que cette liberté n’était que provisoire aussi recontactant immédiatement mon service, mes chefs décidèrent de me diriger sans délai sur l’Angleterre, par le passage normal : France-Espagne-Portugal-Gibraltar. Tout ce trajet se fit avec beaucoup de difficultés, mais avec chance ; ainsi j’arrivai en Angleterre en juillet 1942, où je m’engageais immédiatement comme volontaire dans les Services spéciaux en tant qu’agent de renseignements et d’action.
« Après une préparation intense, je fus parachuté en France, aux environs de Niort, le 23 août 1943. Ma mission spéciale était de recueillir les informations nécessaires à la destruction des rampes de lancement des V-1 ; renseignements que je transmettais par radio à Londres xxxviii . Tout marcha bien jusqu’au Mardi-Gras 44. Un agent de nationalité française, travaillant pour la Gestapo, parvint à
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