Le train de la mort
Compiègne. Camp de Royallieu .
— Des xli gendarmes allemands sont arrivés et, sans plus attendre, commencent la fouille. Pris au dépourvu, les premiers rangs abandonnent à l’ennemi couteaux et papiers d’identité, dont il s’empare, sans autre forme de procès. L’effet de surprise passé, les suivants s’organisent et chacun s’ingénie à camoufler les objets personnels. Les gendarmes ne s’étonnent même pas de ne plus rien retrouver. Et pourtant, l’ardeur et la méthode ne leur font point défaut. La colonne, pendant ce temps, attend sous un soleil de plomb.
— Je n’ai xlii pas subi cette fouille. Le soldat chargé de ce travail découvrit dans la poche de mon blouson un calendrier dont la couverture représentait la cathédrale d’Amiens. Après l’avoir regardé quelques instants, il me le rendit en disant : « Belle cathédrale ! » et en resta là.
Près de la porte du camp C une dizaine d’hommes ont moins de chance et se déshabillent entièrement.
17 heures – Compiègne gare.
Cyriaque Frizon épluche, dans le petit bureau des agents de train, le tableau de service du 2 juillet. Le mécanicien Martial Dorgny éclate de rire.
— Eh oui mon vieux ! Tu es sur la liste comme moi.
— C’est drôle ? Ça fait sept dimanches de suite. Et le dimanche pour revenir de Reims il y a rien avant la nuit. Et qui encore ?
— Le chauffeur c’est Robert Coville.
Les trois hommes sont des amis. Frizon est le plus âgé : cinquante ans, tout en muscles, un doigt de moustache sous un nez fin. Casquette toujours bien haute sur le crâne. Dorgny : quarante-trois ans, large menton, épais sourcils, cheveux plaqués en arrière. Visage carré, tendance à l’embonpoint, tout le contraire de Coville : petit sec.
L’équipe du 7909 est constituée. Les trois hommes se séparent en plaisantant :
— J’espère que les « paniers » sont bien garnis !
— On a un lapin ce soir… Je vous garde la peau ?
19 heures – Compiègne .
Camp de Royallieu.
Les deux battants barbelés de la porte du camp C se referment sur les « partants » qui s’entassent dans deux hangars :
— À l’intérieur xliii , pas le moindre châlit ; seules quelques brassées de paille éparpillée sur le carrelage meublent ce parc à humains.
Entre les deux bâtiments, des sentinelles armées. Jaeger, l’« homme aux chiens » a lâché Prado et Klodo.
Le docteur Solladié, « porté » par la bousculade dans le second bâtiment, est décidé à tenter une sortie pour rejoindre, dans le premier groupe, son beau-père le docteur Bent.
— Tu es fou ! Il y a Jaeger et ses chiens.
— Qui parle allemand ?
— Moi.
— Traduis-moi : « Veuillez m’excuser. Mon beau-père est malade. Je voudrais être auprès de lui. »
— Mais il est fou ! Tu vas réciter ça à Jaeger ? Il est fou !
— Pourquoi pas !
— Très bien ! Alors ça se dit…
Solladié répète, entrebâille la porte, se glisse et tombe dans les bras de Jaeger.
— … ! Oh !
— Et alors ?
— Excusez-moi ! J’ai raté ma phrase… mais vous parlez français. Mon beau-père…
Jaeger saisit Solladié au collet et, devant la première porte :
— C’est là ?
— Euh ! Je ne crois pas !
Seconde porte.
— C’est là ?
Solladié reconnaît un visage de Montauban :
— Oui ! C’est là.
Jaeger magnanime :
— Vas-y !
D’autres préfèrent se faufiler… à la course, derrière le dos des gardiens :
— Nous xliv nous écrasons aux fenêtres pour appeler les camarades qui ne sont pas avec nous et avec lesquels nous voudrions être. En face de ma baraque une porte est ouverte. Un camarade s’est élancé vers l’ami dont il ne veut pas se séparer. Moi aussi j’ai quelqu’un que je voudrais rejoindre, mais une sentinelle a hurlé et menace de faire feu. Tant pis ! La sentinelle ayant le dos tourné, je bondis par la fenêtre, suivi de deux autres camarades. En face, tous les prisonniers qui se tassaient à la porte ont laissé libre le passage. Tout le monde hurle car c’est une nouvelle victoire. Mais je disparais vite dans la foule, le cœur battant très fort. Les amis retrouvés, on sent pendant un temps très court, la joie de l’amitié. Nous sommes plusieurs à nous serrer les uns contre les autres, à faire face à tout défi ; il nous semble que rien ne peut arriver que nous ne surmonterons.
Le docteur Paul Weil, dans cet enclos de
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