Le train de la mort
s’introduire dans le réseau Delbo-Phénix qui m’aidait dans mes missions et me contacta dans un magasin de Niort. Il s’appelait Georges Ledanseur. Bien qu’il me fût présenté par le sous-chef du réseau, ma première impression commandait la méfiance. On parla de choses et d’autres. Au bout d’une demi-heure, j’eus la certitude que l’homme qui se trouvait devant moi était un agent allemand. Il se sentit découvert et déchargea sur moi son revolver à la stupéfaction de son guide qui, ne comprenant rien, voulut s’interposer. Une balle lui trancha la carotide.
« Les autres projectiles firent mouche sur moi : une balle me déchira le cuir chevelu, une balle se logea dans l’avant-bras gauche, une balle en plein poumon gauche, une balle affleurant le tibia droit m’écorcha sur dix centimètres ; enfin une autre tirée en plein cœur, s’arrêta sur mon portefeuille pour glisser dans la doublure du veston (déduction que j’ai faite plus tard, en apercevant sur le côté gauche de mon veston deux trous de balle)… celle du cœur devait être mal sertie.
« Il ne faut pas croire que je laissai à mon adversaire le temps de vider son chargeur sans bouger. J’avais remarqué, dès son arrivée, qu’il gardait sa main droite enfouie dans la poche. J’en avais déduit qu’il était armé ; mais comme on m’avait appris en Angleterre qu’il était impossible de tirer des coups de feu de l’intérieur d’une poche, je me disais que, s’il sortait son revolver, j’aurais largement le temps de le neutraliser. Malheureusement, les instructeurs britanniques avaient oublié de me signaler qu’il existait un cas où l’on pouvait tirer d’une poche… lorsque le revolver est à barillet. Et Ledanseur avait un barillet.
« Dès le premier coup de feu, je me jetai sur lui, ne sachant même pas que j’étais blessé gravement. Une lutte impitoyable s’engagea. Mes armes : tout ce qui me tombait sous la main, coupe-papiers, vases, pots de fleurs, chaises. Ce fut un véritable carnage dans ce petit bureau de mon ami Gibaud, situé derrière le magasin. Je criais : « Gibaud, il y a un revolver dans la chambre. Vite. Montez, montez le chercher. » J’allais m’effondrer… Dans un dernier élan, je bondis sur Ledanseur qui trébucha. Gibaud redescendait. Ledanseur courut vers la porte. Il l’ouvrait, Gibaud me tendit le revolver. Feu. Ledanseur s’écroula. Un voile noir couvrit mes yeux. J’eus la force de crier : « Gibaud, achève-le » et je m’évanouis.
« Mais Gibaud n’eut pas le courage de l’achever.
Il le traîna dans la cave et referma la porte. On me transporta clandestinement à l’hôpital de Niort. Pendant ce temps, Ledanseur avait descellé le soupirail de la cave et s’était traîné à la Kommandantur. Aussitôt les Allemands cernèrent la ville.
« À l’hôpital de Niort, des perfusions me furent faites jour et nuit sous la surveillance du docteur Laffitte et la garde d’une Sœur. Je restais à l’état comateux… Les Allemands, sachant que j’étais blessé fouillaient cliniques et hôpitaux. La Résistance de Niort décida de m’évacuer. Un groupe résolu « emprunta » à l’agence Citroën un camion allemand en réparation et, revêtus d’uniformes de la Wehrmacht, ces Français courageux, pendant la fouille de l’hôpital, me couchèrent sur deux planches et me sortirent à la barbe de la Gestapo. Première étape, Saint-Liguaire ou le docteur Boyer me fit une piqûre pour atténuer mes souffrances. Et puis, de cave en grenier, de grenier en étable on me fit atteindre une ferme cachée dans la forêt de l’Hermitain. Là, les docteurs Suire et Allard, sans anesthésie, mais avec pour désinfectant une bouteille de « gnôle », extrairent au bistouri et à la pince la balle du poumon. Il faisait excessivement froid, mais je n’ai jamais tant transpiré.
« Le docteur Allard entra en contact avec mon service à Paris. Londres monta une opération « Lysander » pour me récupérer par avion… tout était prêt mais le docteur Allard, vu mon état, m’interdit tout déplacement. Cet héroïsme de la Résistance française allait se solder par dix-huit morts et de très nombreuses déportations xxxix . Ce qui devait arriver, arriva : quelques jours plus tard, la Gestapo (six autobus de la compagnie Brivin, bourrés de soldats) cernait la ferme. Le chef du détachement fit marcher devant lui les fermiers. Je n’eus
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