Le train de la mort
pas le courage d’ouvrir le feu.
« Vous dire le traitement que je subis malgré mes blessures est inutile. Quand j’arrivai dans ma cellule à la prison de la Pierre-Levée de Poitiers, je constatai que j’étais noir des pieds à la tête tant j’avais été torturé. Personne n’y croit plus et moi-même j’en doute. Je priai pour que l’on me fusille… À minuit, la garde était relevée et le surveillant allemand de service de nuit enlevait les menottes de mes poignets et de mes chevilles. Il m’apportait bien souvent un morceau de pain. Il me disait : « J’ai un fils prisonnier des Russes. Peut-être là-bas trouvera-t-il quelqu’un comme moi pour alléger ses souffrances. »
« Puis un beau jour j’appris que j’étais appelé à Paris… La Gestapo de Poitiers, furieuse de me voir lui échapper, ne me fit pas marcher mais rouler sous les coups, jusqu’à la gare.
« Le lendemain de mon arrivée à Fresnes, je fus conduit devant le général Valkelhausen qui me reçut très cordialement, me fit asseoir et après m’avoir fixé quelques minutes et constaté ma « condition » physique : « Ce sont eux. Cela n’est pas de moi. » Il me demanda si j’avais faim. Je répondis que je n’avais rien mangé depuis quatre jours et quatre nuits. Il donna des instructions et son ordonnance déposa devant moi quatre sandwiches – jambon, fromage – et une bière. Après ce festin, le général m’apprit que j’étais recherché depuis 1942, que j’étais considéré comme un bon soldat et que je ne serais pas fusillé mais déporté. Il conclut : « C’est tout ce que je peux faire pour vous. » Il me tendit la main en me souhaitant bonne chance.
« Arrivé à Compiègne, j’étais encore très faible, mes blessures s’étaient rouvertes… on me dorlota à l’infirmerie mais j’étais loin d’être rétabli lorsque je fus retenu pour le train du 2 juillet. »
12 heures – Compiègne.
Camp de Royallieu.
— Des « fayots » comme ça, on n’en fait plus depuis 14.
— Ça nous change des pois chiches.
— Encore une louche mon colonel ? Il y a du rab !…
14 heures – Compiègne.
Camp de Royallieu.
L’adjudant-chef Peter Feld, sans grand enthousiasme, claque des talons. Les deux officiers du Service de Sécurité de l’Armée allemande s’installent dans les fauteuils de l’antichambre du commandant de Royallieu.
— Le lieutenant-colonel Posseckel m’a téléphoné qu’il serait là dans quelques minutes. Il avait un déjeuner en ville.
Les deux officiers ne répondent rien. L’adjudant-chef, ancien instituteur, est à Compiègne depuis juin 1942 ; c’est la première fois qu’il voit les deux S.D. chargés d’organiser le départ du 2 juillet et d’accompagner les déportés jusqu’à la gare frontière de Novéant xl .
14 h 15 – Compiègne.
Camp de Royallieu.
— Rassemblement !
Sirène.
Sifflet.
— Appel ! Appel !
Les chefs de baraque vérifient les bagages.
— Vous retrouverez tout en arrivant. Gardez le minimum avec vous, d’ailleurs vous allez être fouillés très très sérieusement. Si vous voulez un conseil : gardez sur vous plusieurs chemises, des pulls, un pardessus…
Première liste alphabétique.
— Ici, mettez vos bagages.
— Ici les cuvettes.
— Là les couteaux… Ne gardez que votre quart.
Débonnaire, un gros sous-officier, assis sur le dossier d’une chaise, demande :
— Que les malades, les infirmes se fassent connaître. Ils iront à la gare en voiture… voiture à cheval… mais voiture quand même.
M. le Doyen passe en baissant la tête.
— Et Ducon, t’as perdu quelque chose ?
Il accélère le pas, tourne derrière les baraques. Queue leu leu. Tintement des couverts.
— Vous vous dirigez vers la porte du camp C maintenant.
15 h 10 – Compiègne gare .
Les deux officiers S.D. accompagnés du chef de gare Muller pénètrent sur le quai marchandises, alors qu’une vingtaine d’hommes de corvée, venus de Royallieu avec deux charrettes de paille, disposent une botte devant chaque wagon. Grimpés sur des échelles, des soldats condamnent deux des quatre lucarnes des wagons à l’aide de planches clouées et tissent devant les deux autres un réseau épais de barbelés.
La corvée maintenant roule des tonneaux vides. Entre les voies : des sentinelles en armes. Le secteur marchandises de la gare est devenu zone interdite.
15 h 45 –
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