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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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bouleversée par le bombardement de mai. Murs calcinés, éventrés, rails tordus… Une voie. Une seule voie est intacte.
    Sa décision est prise : le 7909, dernier train de Compiègne, n’arrivera jamais en Allemagne.
    — Qui ?
    — Qui fera le coup ?
    Le tableau de service du dimanche est assez maigre… Non pas lui : trop jeune… Voilà : Roger Ollinger. Ollinger, un solide gaillard, trente-cinq ans, un mètre soixante-quinze. Et puis Ollinger, ce qui facilitera la chose, a du plastic dans sa buanderie. Ollinger prend son service au poste d’aiguillage électrique n° 2. C’est lui qui doit diriger le 7909 sur Reims. Ollinger arrive à 7 heures.
    — Ça suffit, mais par qui vais-je bien le remplacer ?
    6 heures  – Compiègne ville.
    Yvette Forré ouvre ses volets, accroche la « Sainte-Famille » à la barre d’appui. Renonçant aux banderoles (« Comment les installer ? ») elle a cloué sur le cadre deux grandes feuilles de carton. Elle pense :
    — De loin, ils vont croire que c’est une tête avec ses deux oreilles.
    La rue est déserte.
    Yvette Forré ferme la fenêtre, tire les rideaux de mousseline.
    6 heures  – Compiègne.
    Camp de Royallieu.
    — En avant !… Marche !
    La première des trois colonnes se présente à la barrière du camp de transit :
    — On lv nous remet à chacun une boule de pain et de la chair à saucisse enroulée dans un papier. Cette « quantité » me laisse présager un assez long voyage. Charcutier de métier, je constate que la chair à saucisse est déjà avariée. Je le dis à mes voisins… « Attention à l’intoxication ! » Claude Mathieu et moi jetons cette chair à saucisse. Elle est aussitôt ramassée par d’autres.
    Comme Jean Martinez, des dizaines de prisonniers affamés – les jeunes surtout, Martinez a dix-huit ans – avalent le « saucisson » en trois bouchées.
    — Marche !
    En rang par cinq, ils traînent les pieds. Ils sont partis.
    Les gardiens bougonnent : à soixante, il leur est impossible de guider, en une seule colonne, le troupeau vers la gare. Trois aller et retour sont prévus ; bien que les retours s’effectuent en camion, cela fait tout de même : trois par quatre = douze. Douze kilomètres à pied. Un dimanche !
    Des cloches sonnent.
    — Deux lvi femmes sur le trottoir regardent partir la France. L’une d’elle dit à son amie en me désignant : « Regarde celui-là rit ! »
    — Nous lvii n’avons pas fait 100 m que, pour un motif ignoré, un de mes camarades est presque tué à coups de crosse. Le gardien doit avoir dix-huit ans environ. Avant de quitter le camp, nous avons été avertis par un interprète : « Vous ne devez échanger aucun mot avec les civils durant le trajet jusqu’à la gare et vous devez bien vous tenir dans le convoi car le voyage sera ce que vous voulez qu’il soit. »
    — Pour lviii avoir levé la tête vers une fenêtre qui s’ouvrait, un « posten » m’assena un violent coup sur la tête. Mon béret basque roula à terre et je dus faire vite pour reprendre ma place, aidé par les coups de cette sentinelle.
    Le rang d’Henri Billot siffle La Madelon ; celui d’André Page ; J' irai revoir ma Normandie.
    — Quelques-uns lix chantent malgré les menaces des soldats. Les lazzis et slogans fusent et parmi ceux-ci le fameux : « Ils auront la graisse, mais pas la peau ! » Pauvres de nous… Il fait déjà chaud et les détenus qui doutent de la restitution des bagages à l’arrivée ont revêtu le plus possible de vêtements. Pour ma part, sous un blouson suédine, j’ai enfilé un pull-over sans manches et un chaud tricot à col roulé. Mon équipement est complété par une grande couverture de laine que je porte sur les épaules.
    — Que lx de larmes coulèrent sur les joues de cette femme crispée sur ses deux gosses qui, peut-être, vit passer son mari, leur père. Là c’est un vieillard courbé sur sa canne… En franchissant l’Oise, des pêcheurs s’interrompirent et nous regardèrent passer recueillis comme les paysans de l ’Angélus de Millet lxi .
    — En lxii traversant le pont de l’Oise, alors que je regardais fixement les eaux de la rivière, j’entendis le policier marchant près de moi s’écrier ; « Il ne faudrait pas que ce cochon-là ait envie de se jeter à l’eau ! » Et il pointa sur moi un canon menaçant. D’ici, de là, quelques mains s’agitent derrière une vitre. La pitié,

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