Le train de la mort
Quennec l propose de tirer le grand jeu. Quatre – Clerc, Trabichet, Titin et Le Quennec – eurent côte à côte le neuf de carreau et le neuf de pique. Aux dires du faiseur de jeux c’était le signe certain d’une mort violente à bref délai… tous quatre sont morts le lendemain.
Autour du Père de la Perraudière règne une ambiance optimiste :
— … Avec bien sûr li un peu de cafard en songeant à ce départ vers l’inconnu que l’on s’obstine à croire impossible. Le Père nous donne confiance en nous disant que ce jour de la fête de la Visitation de la Vierge Marie à sa cousine Élisabeth, est un beau jour pour partir.
DEUXIÈME PARTIE
LE CRIME DU 2 JUILLET
1 L’EMBARQUEMENT
5 heures – Compiègne.
Camp de Royallieu.
— Debout ! Rassemblement ! Appel !
Marseillaise. Chant du départ.
— Vos gueules ! La voiture de ces messieurs les fatigués est avancée ! (sic).
Le chanoine Goutaudier, curé de Mailly, Paul Fontaine, consul de France à Liège, aidés par Chivalier et Vidali, grimpent dans la charrette des « invalides ». Une douzaine d’autres internés âgés les rejoignent.
— 98 ! 99 ! 100 !
Chaque carré de cent formé est séparé du suivant par cinq pas. Les premiers « échanges » d’amis, de parents sont en cours. André Page, « vu », reçoit un coup de crosse dans les côtes.
Deux feldgendarmes recomptent un carré et trouvent cent quatorze. Rires. Énervement. Coups de gueule. On recompte. On sépare. Re-échanges. Il faudrait un gendarme derrière chaque homme.
5 h 15 – Compiègne gare.
Deux camions chargés de soldats pénètrent sur le quai de marchandises. Les huit sentinelles qui, toute la nuit, ont surveillé le 7909 posent leur arme derrière le butoir de la voie VI.
Déjà les soldats du deuxième camion installent sur le wagon plate-forme deux mitrailleuses.
5 h 15 – Compiègne ville.
Au premier étage du 62, rue de Paris, Yvette Forré prépare le petit déjeuner de son mari. Employé des P. T. T. il assure la permanence de six heures au central téléphonique. Yvette Forré a passé une partie de la nuit en prières. Tous les convois de Royallieu ont défilé sous ses fenêtres et pour tous les départs, M me Forré a prié.
Ce sont les Allemands eux-mêmes qui, la veille, avertissent les locataires de la rue de Paris des horaires de « transfert » pour que les volets, les fenêtres restent fermés. Ils veulent éviter les « incidents regrettables » qui se sont déroulés au cours de l’année 1943 : des centaines de Français hébergés pour quelques heures dans ces appartements, ont pu apercevoir un parent, un ami, un camarade de réseau… Certains, comme les propriétaires du Café de la Victoire ont réalisé d’excellentes affaires en louant, fort cher, leurs fenêtres des étages.
Yvette Forré embrasse son mari, referme la porte du palier. En desservant la table de la salle à manger, elle ne cesse de penser à ces hommes, peut-être ces femmes et ces enfants, qui tout à l’heure, en troupeau, vont envahir la rue déserte. Elle tire une chaise. Ses yeux fixent, sans les voir, les fleurs ouvertes du papier peint. Elle pose la main sur la table et aperçoit le bronze qui, depuis des années, oreilles dressées, coiffe le buffet. Un chien ! Un berger allemand ! Quelle ironie ! Ceux de Royallieu vont courir de mollet en mollet dans moins d’une heure. Et soudain, en hochant la tête, elle découvre ce tableau de la Sainte-Famille acheté en 1935, Porte de l’Étoile, chez M me Dumont, la libraire. Un grand tableau, d’un bon mètre de haut, qui semble posé sur la pointe des oreilles du chien de bronze. Yvette Forré sourit : ce jour-là elle n’avait pas assez d’argent et M me Dumont insistait, insistait pour qu’elle l’emporte :
— Mais si ! Mais si ! quand ça fait plaisir, faut pas hésiter. Vous reviendrez demain me payer.
Elle entend la voix.
— Mais si. Mais si…
La libraire égrenait ses « Mais si » en dizaines de chapelets.
Et elle revint le lendemain payer M me Dumont.
Yvette Forré a décroché la toile. D’un seul coup, en libérant le rectangle de l’empreinte, elle a l’impression que toutes les fleurs qui n’étaient pas « derrière la Sainte-Famille » se sont fanées. Elle pose l’immense toile contre une chaise et va chercher un chiffon à poussière dans la cuisine.
Lallich, le peintre, a composé une scène très italienne
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