Le train de la mort
l’anxiété, mais aussi parfois une farouche résolution se lisent sur ces visages qui nous adressent un dernier salut.
— Quelqu’un lxiii avait ouvert ses volets et placé à la fenêtre une gravure religieuse représentant la Sainte-Famille avec une grande inscription « Paix sur la Terre aux Hommes de Bonne Volonté ». Cette gravure, cette inscription furent pour moi d’un réconfort immense ; j’ai repris confiance, et je me suis juré, tout en marchant, que si je m’en sortais, je reviendrais dans cette rue de Compiègne pour remercier la personne qui m’avait donné cet espoir lxiv .
— Je lxv profite de la vue de cette gravure pour adresser une dernière pensée à ma famille. Nos gardiens ricanent en voyant ce tableau.
— Paix lxvi sur la Terre… Étrange message, qui, tout aussitôt, se répercuta dans les rangs proches du mien comme un signe évident d’espoir et même d’aide proche. Enfin nous n’étions plus seuls dans Compiègne. Un inconnu avait pensé à nous.
— De lxvii ce trajet je garderai des souvenirs inoubliables. Tout d’abord la peur qui m’étreignait. J’avais vingt ans. Un gosse. Je recherchais du regard la présence de mes vieux amis niortais. À la faveur de mutations rapides dans les rangs, d’échanges, j’étais arrivé à les rejoindre. André Tesson… auprès de lui j’étais en sécurité. C’est ce jour que j’ai découvert la statue de Jeanne d’Arc. Il me semblait que mes leçons d’histoire étaient encore toutes proches. Mais ce que je n’oublierai jamais, c’est que d’une petite fenêtre de grenier, un bouquet de fleurs a été lancé au milieu de la colonne et une voix nous a crié : « Courage les gars. »
À côté de Jean Migeat, l’accordéoniste André Verchuren.
— André ! André ! Je t’embrasse.
André Verchuren a juste le temps d’apercevoir sa mère dans l’ombre d’une porte cochère.
6 h 15 – Compiègne dépôt.
Le chauffeur Coville, marteau en main, esquisse autour de la 230 D les premiers pas du ballet de la « visite ». La 230 D est la petite fille de l’Atlantic. Ramassée malgré sa longueur et sa finesse, sobre avec cependant un débordement de bras, de tiges, de vérins, de tuyaux au niveau des essieux et du boggie, elle est la « coureuse » par excellence des trains lourds à arrêts fréquents.
Manettes, volant, glissière, soupape, un peu de graisse dans les godets purgeurs… la machine s’éveille. Déjà, là-haut, coincé sur le petit pont de tôle qui la relie au tender, un chauffeur du dépôt, Riedel, charge le foyer. Les premières poussières s’enlisent dans la fosse à piquer le feu. Dans le silence de ce hangar capitonné de suie épaisse, la 230 D est entrée en chauffe. L’aiguille bleue du manomètre décolle.
Riedel de la cabine demande :
— C’est toujours pour 9 heures ?
— Avec eux on ne sait jamais.
— On sortira sans doute bien avant ; dès que l’embarquement sera terminé.
7 h 5 – Reims gare.
Paul-Émile Renard pousse la porte à double battant du poste d’aiguillage n° 2. Roger Ollinger feuillette un magazine.
— Vous avez vu le 7909… C’est un train de déportés.
— C’est pour ça que je viens te voir. Ce train, c’est le dernier. Le dernier train de déportés. Nous tous lxviii on en a parlé, et nous sommes tombés d’accord : il ne faut pas que ce convoi arrive en Allemagne. Tu te rends compte d’un coup. Quel coup ! Quelle victoire !
— Et vous voulez que…
— Oui. il est trop tard pour organiser une attaque armée et puis il doit être drôlement bien gardé. Il y aurait des morts. Tu as toujours du plastic ?
— Deux ou trois pains ! J’en ai même un avec un système d’horlogerie. Le dernier chic.
— Tu es d’accord ?
— Quelle question ? Et pour me remplacer ? il faut que je passe à Saint-Brice.
— Tu es à pied ?
— J’ai le vélo.
— Bon. Pour te remplacer je vais mettre un type à nous. Je te tiendrai au courant de la marche du train.
— Le mieux, c’est derrière la verrerie… il y a un contrebas où personne ne va.
— C’est à un kilomètre d’ici : ça suffit.
— Un peu plus, un kilomètre et demi ; mais plus loin c’est les jardins et les maraîchers. Y aura trop de monde… un dimanche !
— Il te faut combien ?
— Mettons une heure. Le train est prévu entre 10 h 30 et midi. Envoyez-moi quelqu’un à 9 heures.
Renard tend la
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