Le train de la mort
buvons est noire et surchargée de poussière de charbon. C’est infect et, qui plus est, la mince gorgée à laquelle chacun a droit n’a pas pour autant arrêté l’incendie qui nous dévore. La pluie a maintenant cessé et ceux qui ont tenu la gamelle au-dehors, pendant des heures, contemplent leurs bras labourés par les barbelés. Notre convoi avance toujours à la vitesse d’une tortue, s’arrêtant et repartant sans cesse. L’air est maintenant à ce point vicié qu’il nous oblige à nous tenir constamment debout afin de ne pas respirer le gaz carbonique qui stagne dans la partie basse du wagon. Une odeur infecte que dégagent les corps de nos camarades empilés au fond du wagon. Ce voyage infernal ne finira donc jamais !
TROISIÈME PARTIE
VOUS QUI ENTREZ,
LAISSEZ TOUTE ESPÉRANCE !
1 3 JUILLET
LA FRONTIÈRE DE NOVÉANT
Il pleut.
5 heures – wagon Helluy-Aubert-Villiers.
Le panneau découpé dans la nuit vient d’être enfoncé. Deux, trois hommes crient ;
— Évasion ?
— Évasion !
Le convoi stoppe. Mitraillettes braquées sur le buste du docteur Helluy, à demi engagé dans le trou.
L’officier S.D. déplombe la porte. Deux gardiens comptent et recomptent les déportés.
— Très bien, dit l’officier, nous allons refermer le trou.
Déjà les soldats clouent des planches, appliquent des barbelés.
— Nous nous occuperons de vous un peu plus tard. Vous serez tous fusillés s’il manque quelqu’un tout à l’heure, quand il fera un peu plus jour.
Le train repart. S’arrête longuement. Repart.
— Nous étions ccxxvii prostrés devant un tel échec ; anéantis, désespérés nous n’avons même plus la force de manifester à l’encontre de nos « trouillards » ni de leur passer une raclée bien méritée ccxxviii . Il est vrai que certains prétendaient qu’après tout ils avaient eu raison, car cette évasion n’aurait mené à rien, nous aurions été repris aussitôt.
— Toutefois nos dénonciateurs ne sont pas brillants, car nous leur promettons qu’ils ne perdent rien pour attendre… Mais tous, même les plus courageux, voudraient bien être à « tout à l’heure »… car si nous sommes fusillés, à quoi bon jouer les justiciers… Nous ne parlions presque plus – seuls quelques chuchotements ici et là – nous semblions résignés… Nous venions de perdre l’espoir et nous étions las, défaitistes malgré les paroles consolantes prononcées par certains camarades qui cherchaient à se convaincre eux-mêmes, que demain serait meilleur ! Machinalement nous effectuons nos rotations, mais le cœur n’y est plus, nous sommes à la dérive.
Pendant ce temps , wagon Lambert.
Projetées ccxxix par le vent, les gouttelettes décrivant un trajet oblique, arrivèrent, sur un côté du wagon, à pénétrer à l’intérieur. Aussitôt toutes les mains se tendirent et, dès que l’une d’elles en avait recueilli pas même la valeur d’un dé à coudre, la langue venait la débarrasser de ce précieux breuvage en la léchant dans tous les sens.
L’un d’entre nous avait un livre ; aussitôt, l’idée lui vint, avec chacune de ses pages, de faire de multiples petits cornets, puis de les glisser dans les trous du grillage de la fenêtre en maintenant la pointe en bas, et de recueillir l’eau qui s’écoulait goutte à goutte à la base. Mais le manque de récipients pour recevoir le divin liquide fit abandonner le système, d’autant plus que le papier perdait vite sa consistance et tombait lui-même en déliquescence.
Le troisième système, et qui s’avéra le plus efficace, fut de placer devant la fenêtre les mouchoirs, serviettes, chiffons de toutes sortes, et de les sucer après imbibition.
La toiture des wagons, mal jointe, laissait passer quelques filets d’eau que cent bouches altérées essayaient d’attraper au passage. La moindre goutte suintant à travers les planches était épongée du bout du doigt et portée à la bouche.
Wagon de 80.
Les guêtres ccxxx ! Le facteur a des guêtres… Soudain nous y pensons. Glissées, pliées entre les planchettes et les barbelés, modelées en entonnoir elles font office de « chéneaux » et nous permettent de remplir une bouteille.
Wagon Puyo.
Quelqu’un ccxxxi a trouvé le fil de fer qui, au départ, servait à lier notre botte de paille. Nous le doublons, nous le coudons et glissé dans la lucarne, nous lui faisons « prendre » la gouttière du toit. L’eau
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