Le tresor de l'indomptable
poupe où les hommes de barre maintenaient non sans mal le cap de L’Indomptable. Par la sainte Face de Lucques ! Blackstock tenta de calmer la panique qui l’envahissait. Un autre bateau surgissait du brouillard comme une flèche. Sans doute une cogghe de guerre ! Les navires marchands ne se montreraient pas aussi audacieux. Peut-être était-ce un bâtiment royal, mais pourquoi maintenant, par ce glacial jour d’octobre ? Ils étaient là à dessein pour le capturer ! Ils avaient dû quitter l’embouchure de la Tamise et se tenir au large, en n’ignorant ni le moment prévu ni la date de son accostage sur l’Orwell. On l’avait trahi !
Le capitaine cria à Stonecrop de lui apporter son ceinturon. Il s’en ceignit et jeta autour de lui un regard affolé. Il n’avait jamais, même dans ses pires cauchemars, envisagé cette situation : être bloqué par deux cogghes de guerre, armées de toutes pièces, contre la côte anglaise ! Le vent d’est était contre lui ; il serait vain d’essayer de se faufiler entre ses adversaires. Il pouvait se sauver vers la terre, s’échouer sur les rochers, et puis après ? Tout cela avait été fort bien ourdi. Le shérif local et ses hommes devaient attendre. Blackstock comprit qu’il n’avait pas le choix : il devait se battre.
— Capitaine ! hurla la vigie. Le premier, au nord, est Le Griffon ; son pavillon porte un griffon vert rampant.
Blackstock se saisit le visage à deux mains. Paulents ! Le puissant marchand de la Hanse avait décidé de prendre sa revanche.
— Et l’autre ? s’enquit-il d’une voix de stentor, bien qu’il connût déjà la réponse.
— Le Chausse-trappe. Il arbore la vouivre d’argent.
Blackstock se dirigea d’un pas incertain jusqu’à la lisse de couronnement et s’y agrippa ; baissant les yeux sur la mer houleuse, il eut la nausée. Paulents, l’Allemand, et Castledene le marchand de Cantorbéry, le chevalier du Kent qui trempait dans toutes les affaires en Angleterre, avaient résolu de le prendre au piège.
— Ils ont hissé les baucents {4} ! rugit Stonecrop.
À travers la brume, Blackstock apercevait à présent sans mal les deux navires qui approchaient, voiles gonflées, poupe et dunette chargées de soldats.
Aux mâts des deux cogghes flottaient des flammes rouge sang : ce serait un combat à mort, sans quartier, sans termes de reddition, sans merci.
Pendant ce sinistre après-midi, Blackstock usa de tous les tours, toutes les ruses qu’il connaissait, mais en vain. Les deux ennemis voulaient une lutte à l’outrance, à mort. La rage de Blackstock rendait son esprit confus et l’empêchait de réfléchir. Il avait sans nul doute été trahi, mais par qui ? Quelqu’un qui se trouvait à bord ? Son frère ? Hubert avait-il été pris, arrêté et torturé ? Les poursuivants, désireux d’engager le combat avant la nuit, s’approchèrent au milieu de l’après-midi. Le dernier espoir de Blackstock s’évanouit. Bien qu’il eût rassemblé son équipage, il savait que la bataille serait vaine. Il descendit en hâte dans sa petite cabine étroite pour y quérir son armure avant que les cris de Stonecrop le fassent remonter. Le Griffon s’avançait à grande vitesse, voiles ferlées, et tentait de l’aborder. Le Chausse-trape était encore à quelque distance. Blackstock revêtit son haubert de mailles et son casque au large nasal. Se raidissant pour résister au roulis du navire, il tira son épée et son poignard. Tout autour de lui s’était massé son équipage, arborant la plus grotesque collection d’armures rouillées et de peaux de bêtes – d’où pendaient encore des têtes de chien, de loup, de renard et d’ours – que l’on pût imaginer.
Le Griffon se rapprocha, tournant un peu sous l’oeil vigilant des hommes de barre ; Blackstock comprit que ce devait être des matelots aguerris. La cogghe était ventrue, mais rapide et un peu plus haute que la sienne ; les marins étaient vêtus de brun foncé ou de drap vert de Lincoln. Blackstock réprima un frisson de peur en apercevant des archers aux longs arcs parmi les assaillants ; Paulents avait sans doute le renfort des troupes royales. Blackstock se retourna. Le Chausse-trape faisait un large détour pour contourner l’arrière de L’Indomptable et l’aborder par l’autre côté. Il se passait quelque chose d’inquiétant ! Castledene prenait son temps. Le Griffon était plus près maintenant.
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