Le trésor
que je sais faire une épée à la main. Et je ne suis pas la seule en France. Mais je m’écarte et vous laisse vider cette affaire.
Tandis qu’elle allait s’asseoir sur les marches du petit temple, les deux témoins et le docteur réglèrent les modalités du combat. Ce fut vite fait et, la mesure des épées ayant donné toute satisfaction, les deux adversaires ôtèrent leurs habits et s’en allèrent prendre chacun sa place. Gilles le fit rapidement, en trois pas vifs après avoir jeté négligemment son habit sur le sol. Ce fut plus long pour le prince qui se souciait évidemment de ses satins brodés et qui jugea bon de faire quelques pliés pour s’assouplir le jarret.
Debout à sa place, la pointe de son épée plantée en terre, Tournemine le regardait faire avec un mélange d’agacement et d’amusement. Le voyage en carrosse lui avait rendu tout son sang-froid et tout son empire sur lui-même. Aussi considérait-il ce duel inutile comme une stupidité. Il n’avait aucune raison d’en vouloir à ce Sicilien qu’il n’avait jamais vu et qui avait seulement cru bon de se faire le défenseur d’une vertu défunte mais à laquelle apparemment il croyait. C’était, en outre, du temps perdu car, sa violente vague de désespoir étalée, Gilles, à présent, brûlait d’impatience. Il avait hâte de retourner à l’ancienne folie du maréchal de Richelieu, afin d’y apprendre, une bonne fois pour toutes, d’où sortait ce M. de Kernoa dont on lui avait assuré qu’il était définitivement mort et qui, cependant, venait de refaire surface de la façon la plus inattendue.
Le prince étant enfin prêt, il tomba en garde au commandement du directeur du combat, décidé à en finir aussi vite que possible avec ce qui n’était plus, pour lui, qu’une formalité mondaine. Le premier sang apparu arrêterait le duel…
Mais il comprit instantanément qu’il allait avoir besoin de toute sa science et de toute son habileté pour que ce premier sang ne fût pas le dernier. À peine le docteur eut-il prononcé l’habituel « Allez, messieurs ! » que Caramanico chargeait son adversaire avec une violence parfaitement inattendue, dirigeant sur lui un bizarre coup tournoyant, qui eût été normal au sabre mais qui ne faisait guère partie de la technique de l’épée. Si Gilles n’avait, par un prodigieux réflexe, levé sa lame, le tranchant de l’épée lui eût entamé le cou. Ce prince avait dû apprendre les armes avec les bravi du port de Naples.
Convaincu qu’il n’avait pas affaire à un adversaire normal, Gilles décida de ménager son souffle et de jouer plus serré qu’il n’aurait cru. L’homme avait, visiblement, un poignet de fer et des nerfs d’acier et son répertoire de coups était stupéfiant. Avec une étonnante rapidité, il passait son arme de la main droite à la main gauche afin d’attaquer des deux côtés. En outre, le Breton n’aimait pas beaucoup l’étrange fixité de son regard devenu aussi froid et aussi figé que du basalte.
Lorsque Gilles passa à l’attaque, Caramanico para chacun de ses coups sans effort apparent, se contentant de faire un bond de côté pour revenir à son tour à l’attaque. Aussi, à mesure que la lutte continuait, Gilles acquit-il la certitude que ceci n’était pas un simple duel mondain mais un exercice classique de salle d’armes avec la mort pour conclusion. Cette étonnante machine de duel prétendait sans doute offrir son cadavre à la reine de la nuit en cadeau de bienvenue.
Les témoins aussi avaient compris et, dans le silence de la nuit, on pouvait entendre, quand le choc des épées faisait trêve un instant, leurs respirations oppressées ou même certaines exclamations indignées de Paul-Jones quand le jeu du prince lui paraissait par trop irrégulier car celui-ci bondissait de tous côtés avec une telle vivacité que Gilles, un instant, crut qu’il allait l’attaquer par-derrière et frapper dans le dos.
La colère le prit. Que cet homme eût envie de sa femme était une chose mais il n’allait pas, par-dessus le marché, se laisser tuer stupidement par un demi-fou décidé à tout pour entrer dans son lit. Risquant le tout pour le tout, il s’élança sur Caramanico avec tant de fureur qu’il mit sa propre vie en danger une douzaine de fois avant de le forcer à céder du terrain. Pendant quelques instants l’initiative du combat lui appartint et, tout à coup, Tournemine vit ses yeux redevenir
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