Le trésor
efforts inouïs pour me réveiller. Mais rien ne me réveille, ni ma course jusqu’à Saint-Denis…
— Tu es allé à Saint-Denis ? Mais quand ?
— Il devait être une heure du matin, je crois, lorsque j’y suis arrivé. Oui, j’y suis allé tout de suite, dès que je l’ai vue, elle, à demi étendue dans ce salon vert, une troupe d’hommes à ses côtés. Je l’ai reconnue tout de suite mais je ne voulais pas croire à ce que voyaient mes yeux…
— Je sais. J’ai éprouvé cela moi aussi quand elle nous a accueillis, Orsay et moi. Mais je n’ai pas eu besoin d’aller chercher confirmation ailleurs. J’ai bien vu, à son sourire de défi, qu’elle m’avait reconnue, donc que c’était bien elle…
— Moi elle ne m’avait pas vu. Et, de toute façon, elle ne m’a pas reconnu. Alors j’ai emprunté un cheval et j’ai couru jusqu’au carmel. Là, j’ai vu Madame de France qui a bien voulu pardonner mon irruption dans sa maison.
— Tu l’as vue ? À une heure du matin ? Elle t’a reçu ?
— Si elle ne l’avait fait, je crois que j’aurais fouillé tout le couvent l’épée à la main. Comprends donc qu’il me fallait retrouver Judith, la vraie, ma Judith à moi ! Il fallait que je me prouve à moi-même que l’autre, là-bas, n’était qu’une vilaine copie… mais je ne l’ai pas trouvée, bien entendu.
La main d’Anne, douce et apaisante, vint se poser sur celle de Gilles qui était froide et contractée.
— Comme tu l’aimes ! murmura-t-elle tristement. Tu ne cesseras jamais de l’aimer, n’est-ce pas ? Quoi qu’elle puisse faire ?
— L’aimer ? Je ne sais plus très bien ce que j’éprouve. Tout à l’heure, j’avais envie de la tuer et j’ai toujours envie de la tuer…
— C’est bien ce que je disais : tu l’aimes ! Mais que t’as dit Madame Louise ? Comment Judith a-t-elle pu quitter Saint-Denis ? La reine l’avait prise sous sa protection, m’as-tu dit, et Monsieur d’ailleurs n’en a plus jamais reparlé. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de le sonder à ce sujet mais chaque fois, il m’a répondu qu’il valait bien mieux la faire oublier, qu’il l’avait mise lui-même à Saint-Denis et qu’après tout il était excellent qu’elle y reste un moment…
— Aussi est-ce sur un ordre de la reine qu’elle est sortie, voici quatre mois.
Mme de Balbi haussa les épaules.
— Bah ! Un ordre de la reine, cela s’imite ! Nous venons d’en savoir quelque chose avec cet effarant procès. Madame Louise n’a tout de même pas remis ta femme en liberté sur le vu d’un simple papier apporté par on ne sait quel messager ?
— Ce n’était pas un quelconque messager, c’était la comtesse Diane de Polignac.
Dans l’ombre de la voiture, les yeux d’Anne étincelèrent et parurent s’agrandir. Elle se tut un instant puis, haussant les épaules, déclara, comme pour elle-même :
— Cela n’a pas de sens ! Pourquoi la reine aurait-elle fait cela et pourquoi la Polignac ? Ou alors elles ont voulu engager ta chèvre sauvage dans un chemin qui ne lui a pas plu et elle s’est échappée après quoi elle s’est trouvé un protecteur en la personne de Laborde ? Il ne faut pas oublier la haine qu’elle portait et doit encore porter à Marie-Antoinette… par ma seule faute d’ailleurs, ajouta-t-elle avec une amertume qui perça l’espèce de gangue glacée dans laquelle Gilles se sentait prisonnier. Il réussit même à lui sourire.
— Il n’arrive jamais que ce qui doit arriver et tu n’es pas responsable du gâchis de ce soir… Quant à la reine, j’ai bien l’intention d’aller lui demander compte de ma femme, si je sors vivant de l’aventure de ce soir. Ce que je ne suis pas très sûr de souhaiter, vois-tu.
Aussitôt elle fut contre lui, les yeux soudain chargés de nuages et, des deux mains, elle s’accrocha à lui.
— Promets-moi… jure-moi de tout faire pour rester en vie ! Tu ne vas pas te laisser embrocher bêtement par ce Sicilien, n’est-ce pas ? C’est un redoutable bretteur… et je ne suis pas très sûre de son extrême loyauté. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé mon jardin, mon médecin. Gilles, je t’en supplie… promets-moi de bien te battre. En échange, je te promets de tout faire pour éclaircir le mystère que l’on appelle à présent la reine de la nuit. Demain je verrai Monsieur, je chercherai, j’interrogerai. Je verrai aussi la
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