Le trésor
instant.
— Tout pareil ! murmura Pongo qui, arrêté à quelques pas de son maître, regardait lui aussi. Rien changé !…
— Si, hélas ! soupira Gilles. Le vieux Joël se mourait quand nous avons quitté Versailles et rien ne dit qu’il soit encore en vie. Dieu sait, pourtant, que nous n’avons pas perdu de temps !
En effet, le chevalier venait d’arriver chez Mlle Marjon après avoir quitté Axel de Fersen et, installé autour d’une table avec l’aimable vieille fille et Ulrich-August, il s’adonnait sans retenue à la joie de se retrouver ensemble après tant de mois de silence et de séparation, quand un messager de la Poste avait apporté pour lui un court et dramatique billet, visiblement tracé d’une main affaiblie. Un billet qui disait :
« Venez, monsieur le chevalier, venez au nom du Seigneur ! La charrette de l’ Ankou 1 grince à ma porte et je n’ai presque plus de temps pour parler à mon véritable maître… »
C’était signé Joël, fils de Gwenaël Gauthier. Alors, le soir même sans seulement songer à prendre le moindre repos, Gilles, confiant Merlin et ce qu’il possédait à ses amis, quittait Versailles avec Pongo en empruntant des chevaux de poste. Lancés comme deux boulets ils avaient, de relais en relais, gagné la Bretagne, dormant à cheval et ne s’arrêtant que pour prendre quelque nourriture et pour relayer. Une force plus puissante que la fatigue et que ses propres limites poussait en avant le dernier des Tournemine vers la vieille maison paysanne où se mourait le dernier des grands serviteurs de sa famille.
Cet homme qu’il n’avait connu qu’un seul jour, Gilles voulait le revoir et le revoir vivant car il représentait le dernier maillon de la chaîne qui le rattachait au passé glorieux et sanglant des fils du Gerfaut.
Exténués en dépit de leur endurance, Gilles et Pongo étaient tombés plus que descendus de leurs montures sur le haut talus où s’appuyait le grand pont-levis, désormais fixe et pourvu de balustrades, au-dessus de l’eau verdâtre des douves. Les madriers d’un autre âge avaient grincé sous le quadruple poids des hommes et des chevaux. Mais, avec le cri désagréable des étourneaux, ce fut le seul bruit qui se fit entendre. Le château semblait appartenir déjà au domaine de la Mort.
Gilles tendait la main vers la chaîne, reliée à une cloche, qui pendait près du grand cintre de pierre, creuse orbite où s’abritait une grande porte rébarbative à souhait quand un son, à la fois grêle et argentin, se fit entendre venant d’un chemin creux, un son qu’il connaissait bien : celui de la clochette qui accompagne le viatique lorsque Dieu se fait porter au chevet d’un agonisant.
En effet, un instant plus tard, un prêtre flanqué d’un enfant de chœur déboucha du chemin, abritant un vase d’or sous la soie noire et argent d’une étole. Derrière lui, un homme chaussé d’un seul sabot, car sa jambe gauche était remplacée par un pilon de bois, marchait aussi vite qu’il le pouvait, appuyant sur un pen-bas 2 sa marche difficile. Il baissait la tête et son grand chapeau noir cachait presque entièrement sa figure.
Le groupe se dirigeait droit vers le château. Gilles poussa un soupir de soulagement : grâce au Ciel, il arrivait à temps ! Et quand l’enfant de chœur, agitant toujours sa sonnette, atteignit la faible pente du pont, Gilles mit un genou en terre, immédiatement imité par Pongo.
Le prêtre avait aperçu les deux inconnus et les regardait avec curiosité. C’était un petit homme d’une soixantaine d’années de constitution frêle dont les épaules semblaient même un peu trop fragiles pour le poids de sa cape et des ornements sacerdotaux. Mais le visage était rond et encore frais, encadré de beaux cheveux gris, brillants et bien entretenus et s’éclairait de deux yeux bruns particulièrement vifs. Ses mains étaient beaucoup plus belles que ce que l’on aurait pu attendre des mains d’un curé de campagne.
— Que cherchez-vous, messieurs, en cette maison où la mort est à l’œuvre ? demanda-t-il d’une voix où une certaine habitude de l’autorité se faisait sentir.
— Je cherche Joël Gauthier, dit Gilles sans quitter sa pose agenouillée par respect pour le Saint Sacrement que portait son interlocuteur. Je suis le chevalier de Tournemine et…
Un cri de joie lui coupa la parole. C’était l’homme à la jambe de bois qui l’avait
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