Le tribunal de l'ombre
longtemps. Cinq ou six ans déjà. »
Ses yeux d’un bleu métallique plongeaient dans des souvenirs lointains que je ne crus pas opportun de violenter.
Le chevalier Wilhelm von Forstner m’avait devancé avec l’aide de trois frères-servants. Et de quelle magistrale façon. Pouvais-je me soustraire à ce nouveau devoir de chevalerie que je répugnais autant à envisager qu’une nouvelle audience près monseigneur Elie de Salignac. Dans les deux cas, la mort rôdait. Et j’avais envie de vivre pour mourir en paix, une fois ma mission accomplie.
Mon cœur balançait, lorsqu’il me glissa à l’oreille :
« Azimut 31.47°. Cela évoque-t-il quelque chose pour vous, messire Bertrand ? »
Je sursautai. Il chuchota :
« Venez donc en pèlerinage à Marienbourg. Il est plus éloigné que d’aucune des étapes que vous fréquentez sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, certes, et moins confortable. Le froid, la glace, le brouillard, la dure vie monastique, le respect de la règle de saint Bernard… Mais pas nécessairement plus dangereux. Et certainement moins traître !
— Messire von Forstner, comment avez-vous pu être informe de ces choses ?
— Lorsque vous aurez rencontré le Hochmeister, le grand maître de notre Ordre, Winrich von Kniprode, élu par notre chapitre l’an dernier, et s’il lui plaît, si vous avez fait preuve de vaillance, vous en saurez plus sur le Livre Sacré, sur votre sœur Isabeau de Guirande – est-ce bien son nom ? – Sur le trésor du Temple et sur les hérétiques – Albi ? Albigeois ? – que n’en savez à ce jour.
« N’oubliez point que notre ordre a été fondé en Terre sainte, à l’époque des Grands pèlerinages de la Croix. Nous avons côtoyé chevaliers templiers et hospitaliers, jusqu’à la chute de Saint-Jean d’Acre.
« Nous sommes, ce jour d’hui, sous la protection de l’empereur et du Saint-Père. Nous avons moult connaissances de faits anciens et des hommes. Et nos archives ! Pensez à nos archives ! Les archives que nous conservons religieusement en la librairie de notre siège comptent parmi les plus belles et les plus riches de l’Occident.
« Elles recèlent bien des secrets connus de rares initiés… Peu nombreux sont ceux qui ont accès à ces trésors. S’ils ne viennent point à nous. Pour nous aider à convertir ces maudits païens de Lituanie…
« Certains codex, certains parchemins rongés par les vers, l’humidité et la poussière, qui se languissent sur les étagères de notre somptueuse librairie ne devraient pas manquer de piquer votre curiosité. De répondre à bien des questions que vous vous posez… Depuis si longtemps !
« Votre duché d’Aquitaine est une pure merveille. Vos châteaux, vos forteresses ! Vos terres si riches ! On croirait que le Bon Dieu, en créant le monde, y a déversé ses plus beaux trésors… Mais le cercle est trop étroit pour satisfaire votre quête. Votre quête du Graal ! Et je pressens que vous n’avez pas encore eu réponse à toutes les questions qui vous rongent les sangs. »
Le chevalier Wilhem von Forstner me tendit mon fils Hugues.
Le pétiot pleurait. Il avait faim et soif.
Moi aussi.
Mais faim et soif d’autre chose.
« À Dieu, mon ami ! Je vous attends à Marienbourg, cet hiver. Avant que l’ours ne rentre en hivernage. Avant la Saint-Martin ! Vous recevrez nouvelle rémission de tous vos péchés ! Sans avoir à passer à confesse !
« Un frère vous portera le sauf alant et venant qui vaudra sportelle et indulgence… Ce sera grandiose : des chevaliers d’Italie, de Hollande, de Germanie se joindront à nous ! Quelle fête ! »
Le chevalier de l’Ordre de Saint-Marie des Teutoniques éperonna son destrier. Lui et ses frères-servants disparurent très vite dans le crépuscule.
Hugues s’endormit dans mes bras.
Avais-je vraiment d’autre choix ?
Ma décision fut prise incontinent.
Je partirais pour Marienbourg avant l’hiver.
Si vous me dites quel est le souverain qui possède l’influence morale la plus grande, le commandant en chef le plus compétent, l’armée qui a pour elle l’avantage des conditions météorologiques et du terrain, et au sein de laquelle les règlements sont le mieux respectés et les instructions les mieux exécutées, si vous me dites quelles sont les troupes les plus fortes, et qui attribue les récompenses et les sanctions avec le plus de discernement, je
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