Le tribunal de l'ombre
serai en mesure de prévoir de quel côté sera la victoire et de quel côté la défaite.
L’art de la guerre, Des approximations,
Sun Tzu, général de l’Empire du Milieu entre l’an 400 et 320 av. J. -C.
Chapitre 13
En partance pour Marienbourg, en septembre de l’an de grâce MCCCVIII. {50}
La Dourdonne, notre belle rivière, coulait paisiblement à nos pieds, une trentaine de toises plus bas. Les feuilles des popliers qui en bordaient les rives se coloraient d’un jaune vif.
Nos vignerons ne tarderaient pas à trancher les grappes de raisin pour les fouler dans le pressoir, puis à tailler les sarments dès que nous aurions décrété le banvin. Nos vilains gauleraient les noix d’ici un mois. À la première averse tous iraient aux champignons pour ramasser dans les sous-bois et dans les prés de pleins paniers de chanterelles, de ceps et de girolles.
Après en avoir débattu depuis la Saint-Barthélémy {51} et brûlé, la nuit dernière, moult chandelles, nous avions arrêté notre plan de campagne pour rejoindre la forteresse de Malbork (nous la connaissions sous le nom de Marienbourg), siège de l ’ Ordre de Sainte-Marie des Allemands.
Des planches avaient été disposées en quinconce sur des tréteaux dans la Grand ’ salle de notre château de Rouffillac , en un savant désordre. Nous y avions étalé plusieurs parchemins en peau de veel sur lesquels nous reportions les noms des villes et des bourgs, des cités fortifiées et des forteresses, des rivières et des fleuves que nous devrions traverser ou contourner.
Nous dessinions les éléments du relief, les cours d ’ eau, esquissions les places fortes, châteaux, châtellenies, abbayes et églises où nous pourrions toujours prendre refuge pour une nuit, biffions, grattions les erreurs à la gomme arabique ou au racloir, jusqu ’ à obtenir le dessin d ’ une chevauchée idyllique puisque sans problème aucun.
Nous disposions des informations sommaires que Wilhelm von Forstner m ’ avait données, de cartes et de codex que nous avions compilés dans les librairies de nos châteaux.
Une chevauchée de deux mois ! Si l ’ on parcourait une dizaine de lieues par jour et prenait un jour de repos par semaine, il faudrait deux mois pour franchir les 520 à 550 lieues qui nous séparaient, traverser des régions amies ou hostiles, franchir des marais et des cours d ’ eau, des cols et des montagnes sur des terres qui nous étaient inconnues.
Nous serions neuf à profiter de l ’ hiver qui approchait pour effectuer ce Grand Voyage au pays des grands mantels blancs à la croix de sable et d ’ or fleurdelysée des chevaliers de l ’ Ordre de Sainte-Marie des Teutoniques.
En effet, Foulques de Montfort et Raymond de Carsac, lorsqu ’ ils avaient été informés de mes projets, m ’ avaient proposé, à ma plus grande surprise, de se joindre à moi pour combattre les païens et mériter indulgence plénière.
Guillaume de Lebestourac se remettait lentement de ses graves blessures. Lorsqu ’ il avait appris notre prochain départ, il s ’ était redressé séant sur son lit de souffrances, déclarant qu ’ il ser ait de ce pèlerinage. Je lui avais promis alors que nous ne par tir ions pas sans lui, quitte à le différer aux calendes grecques. B ien évidemment, il n ’ en avait pas cru un mot et Marguerite n’ était parvenue à modérer sa fougue belliqueuse qu ’ en lui admi nis trant dans ses tisanes, de la poudre extraite de graines de pavot qui l ’ avaient plongé dans un profond sommeil.
Les écuyers Philippe de Castelja, A rn ould de Ségur et Guy de Vieilcastel s ’ étaient portés volontaires avec un magnifique enthousiasme. Onfroi de Salignac et Guilbaud de Rouffignac , mes deux écuyers, avaient besoin de s ’ aguerrir. Ils s ’ étaient remochinés, mais ma décision était prise. Michel de Ferregaye, notre capitaine d ’ armes commandait une garnison qui suffirait à protéger, l ’ hiver durant, les gens, les manants et les biens de notre châtellenie avec l ’ appui de mon maître des arbalétriers, René le P asseur. Or donc, mes écuyers nous accompagneraient aussi.
Trois palefreniers choisis parmi les plus robustes avaient été promus valets d ’ armes pour la circonstance. Ils monteraient trois des six roncins chargés de lourds bissacs sur l ’ encolure et la croupe : provisions de bouche, miches de pain noir sorties du f our, pastés de grives, de merle et de lapin dans des
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