Le tribunal de l'ombre
Deutsche Ritterorden ?
« Ils ont investi le camp des ravisseurs de votre fils. Ils n’ont pas fait de quartier, les ravisseurs n’ont pas eu le temps de crier merci ! Peu importe. Ils ont achevé les blessés. Que Dieu et Vierge Marie le leur pardonnent », dit-il en se signant.
Aussitôt, les deux frères de l’Ordre en firent autant, le visage sans expression, aussi glacé que les lacs de leurs lointaines commanderies. Je doutais qu’ils parlent notre langue.
Wilhelm von Forstner reprit :
« D’avoir devancé vos moindres désirs, ne nous en veuillez point, messire Brachet. Je ne doute pas de la bravoure dont vous auriez fait preuve. Mais les circonstances nous étaient favorables. Mes frères et moi, avons fondu sur ce nid de frelons et avons embroché ces Holzköpfe comme des porcs. Ainsi que vous l’auriez fait vous-même. »
J’étais abasourdi :
« Pourquoi, Wilhelm ? Pourquoi m’avoir privé de le faire moi-même ? Et mon fils ? S’il lui arrive le moindre mal, onques ne vous le pardonnerais !
Verdammt nochmal ! Je vous l’ai déjà dit. Nous étions à l’affût. À bonne portée. Nous leur avons ravi votre fils ! Sans prendre le moindre risque. L’affaire était entendue avant que nous ne lancions l’assaut. Ils étaient betrunken. Comment dit-on en français ? Ils avaient trop bu ? » J’en restais pantois.
« Wilhelm, je ne sais comment vous remercier de m’avoir privé du plaisir de tailler en pièces ces brigands. Mais, tout de même, n’auriez-vous pu me laisser agir si vous aviez suivi mes voies ?
« Comment vais-je à présent remercier messire de la Halle d’avoir accepté l’échange de mon fils contre une modeste rançon de quelques sous ? osai-je lui demander.
— De cette façon, me dit-il, en décolant le chef du dernier survivant d’un superbe mouvement de taille de l’épée qu’il venait de desforer. Au moment où le malheureux prisonnier s’était redressé pour une dernière supplique. Trop tard. Sa supplique vola en l’air. Avec sa tête.
« Acier de Solingen, s’esbouffa le redoutable Teuton. Meilleure fabrique que celle de Tolède pour décoler le chef d’un Holzkopf !
— Une Tête de bûche, et non une Tête de bois ! Je vous l’ai déjà dit, messire Wilhelm ! » me surpris-je à rectifier. (Je faisais des progrès rapides en l’apprentissage de la langue germanique)
— Ach, bien sûr !
— Et comment vais-je m’acquitter maintenant de ce que je dois au maréchal de la Halle ?
— En plaçant sols et deniers avec le chef de son soudoyer dans le bissac de sa monture. Il comprendra que vous avez fait justice. Une bonne claque sur la croupe et son cheval rejoindra ses lignes. Glissez-y quelques louis et l’affaire sera définitivement enterrée », me conseilla-t-il en sifflant entre ses doigts.
Un troisième frère-servant s’approcha. Il tenait une monture par la bride et mon fils dans les bras. Ils me sourirent l’un et l’autre.
Je dus lutter de toutes mes forces pour ne pas éclater en quelques sanglots nerveux. Ça aurait fait désordre face à ces gens de guerre. Cette escarmouche m’avait exténué, brisé. Quand bien même je n’y avais pas participé.
« Comment puis-je vous remercier, mon ami, pour m’avoir de si belle façon privé de cette prouesse ?
— En nous rejoignant en Prusse ! Cet hiver ! À Marienbourg, bien sûr ! Au siège du Deutsche Ritterorden ! Vous y gagnerez indulgence plénière et grande gloire. Si vous n’êtes point occis… » s’ébroua-t-il.
À cette idée, je me remochinai tout de gob, l’esprit partagé entre une immense reconnaissance et une forte amertume à l’idée qu’il est des devoirs auxquels un gentilhomme ne peut se soustraire. Sans compter que des indulgences, je venais d’en recevoir une. À Roc-Amadour. Je n’étais pas prêt de l’oublier.
Je tergiversai, le temps de m’apazimer et de mettre de l’ordre dans mes pensées qui se bousculaient sous un chef, non point encore décervelé mais en proie à une forte agitation :
« Messire von Forstner, vous parlez bien notre langue française pour un Allemand ?
— Mieux encore que ne le pensez, messire Bertrand. Je fus instruit par les lecteurs royaux des universités de la Sorbonne, à Paris, et par ceux de l’université d’Oxford, en Angleterre. Après avoir suivi des études par les maîtres ès arts et sciences de notre université de Cologne. Il y a bien
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