Le Troisième Reich, T1
propos de l'élection présidentielle. Tout reste en suspens. » Trois jours plus
tard, Goebbels fait ses calculs de voix avec le Führer. « C'est un risque, déclare-t-il, mais il faut le
prendre. » Hitler part pour Munich afin d'y réfléchir encore.
C'est finalement Hindenburg qui prend la décision pour lui. Le
15 février, le vieux président annonce officiellement qu'il pose sa
candidature. Goebbels est ravi. « Maintenant, nous avons
la main libre. Nous n'avons plus besoin de dissimuler plus longtemps notre
décision. » Mais Hitler ne la révèle pourtant que le 22 février. Lors d'une réunion
ce jour-là au Kaiserhof , « le Führer me donne la
permission, note Gœbbels exultant, d'annoncer sa candidature ce soir au Palais
des Sports ».
Ce fut une campagne âpre et déconcertante. Au Reichstag, Gœbbels désigna Hindenburg comme « le candidat du parti de la désertion
» et il fut expulsé de la Chambre pour avoir insulté le président. A Berlin, le
journal nationaliste Deutsche Zeitung , qui avait soutenu la candidature de Hindenburg en 1925,
l'attaquait maintenant avec véhémence. « La question est aujourd'hui de savoir,
déclarait le quotidien, si les traîtres internationaux et les porcs pacifistes,
avec l'approbation de Hindenburg, vont amener la ruine définitive de
l'Allemagne. »
Toutes les règles traditionnelles de classes et de partis se
trouvèrent bouleversées dans l'ardeur de la bataille électorale. Hindenburg,
protestant, prussien, conservateur et monarchiste, eut l'appui des socialistes,
des syndicats, des catholiques du Parti du Centre de Brüning, et des vestiges
des partis bourgeois libéraux et démocratiques. Hitler, catholique, autrichien,
ancien vagabond, « national socialiste », chef des masses de la petite
bourgeoisie, bénéficia, outre l'appui de ses partisans, du soutien des grands
bourgeois protestants du Nord, des Junkers conservateurs propriétaires terriens
et d'un grand nombre de monarchistes, y compris, à la dernière minute, l'ancien
Kronprinz lui-même.
La confusion se trouva encore accrue par l'entrée en lice de
deux autres candidats, dont aucun des deux ne pouvait espérer gagner, mais dont
chacun pouvait réunir assez de voix pour empêcher l'un des principaux candidats
d'obtenir la majorité absolue nécessaire à l'élection. Les nationalistes
présentèrent Theodor Duersterberg, commandant en second du Stahlhelm (dont
Hindenburg était le commandant honoraire), ancien lieutenant-colonel bien
falot, dont les nazis ne tardèrent pas à découvrir, pour leur plus grande
jubilation, qu'il était l'arrière-petit-fils d'un Juif. Les communistes, criant
que les sociaux-démocrates « trahissaient les travailleurs » en soutenant
Hindenburg, présentèrent leur propre candidat, Ernst Thaelmann, le chef du
parti. Ce n'était pas la première fois, ni la dernière, que les communistes,
sur l'ordre de Moscou, risquaient de faire le jeu des nazis.
Mais la campagne était à peine commencée qu'Hitler résolut le
problème de sa citoyenneté. Le 25 février, on annonça que le ministre de
l'Intérieur nazi de l'État de Brunswick avait nommé Herr Hitler attaché à la
légation de Brunswick à Berlin. Grâce à cette manœuvre d'opéra-comique, le chef
nazi devint automatiquement citoyen du Brunswick, et par là même d'Allemagne,
ce qui lui permit de poser sa candidature à la présidence du Reich Allemand.
Ayant franchi sans mal ce petit obstacle, Hitler se lança dans la campagne avec
une furieuse énergie, courant d'un bout à l'autre du pays, s'adressant à de
vastes auditoires au cours de dizaines de meetings et portant ses auditeurs
jusqu'à un état de frénésie.
Gœbbels et Strasser, les deux autres charmeurs du parti, firent
de même de leur côté. Mais ce n'était pas tout. Ils mirent sur pied une
campagne de propagande comme l'Allemagne n'en avait jamais vu. Ils couvrirent
les murs des villes et des bourgs d'un million d'affiches aux couleurs
criardes, distribuèrent 8 millions de prospectus et 12 millions de numéros
supplémentaires de leurs journaux du parti, organisèrent 3 000 meetings par
jour et, pour la première fois au cours d'une élection en Allemagne utilisèrent
le cinéma et le disque, ceux-ci diffusés par des haut parleurs montés sur camions.
Brüning, lui aussi, ne ménageait pas ses efforts afin d'assuré
le triomphe électoral du vieux président. Pour une fois, cet homme épris de
justice se montra assez résolu pour
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