Le Troisième Reich, T1
parvenir au terme de son nouveau septennat.
S'il venait à mourir d'ici un an ou deux, la voie de la présidence resterait
encore ouverte à Hitler.
Pour prévenir cela, pour assurer la permanence et la stabilité
du poste de chef de l'État, Brüning conçut le plan suivant
: les élections présidentielles de 1932 seraient annulées et le mandat de
Hindenburg tout simplement prolongé, comme il pouvait l'être, par un vote des
deux tiers des deux Chambres du Parlement, le Reichstag et
le Reichsrat. Sitôt ce but atteint, il proposerait au
parlement de proclamer la Monarchie avec le président comme Régent. A la mort
de celui-ci, un des fils du Kronprinz serait placé sur le
trône des Hohenzollern. Cette mesure couperait également les ailes aux nazis;
en fait, Brüning était persuadé que cela marquerait leur
fin en tant que force politique.
Mais le vieux président n'accepta pas. Lui à qui avait échu la
tâche, en tant que commandant en chef de l'armée impériale, d'annoncer au
Kaiser, en cette sombre journée de novembre 1918, à Spa, qu'il devait s'en
aller et que c'en était fini de la Monarchie, il ne voulait pas entendre parler
d'un Hohenzollern remontant sur le trône, à l'exception de l'Empereur lui-même,
qui vivait encore en exil à Doorn, en Hollande. Quand Brüning lui
expliqua que les sociaux-démocrates et les syndicats, qui avaient accepté avec
la plus grande répugnance d'encourager quelque peu son plan, ne serait-ce que
parce qu'il pouvait représenter l'ultime chance d'arrêter Hitler,
n'accepteraient ni le retour de Guillaume II, ni de son fils aîné et qu'en outre
si la Monarchie était restaurée ce serait une monarchie constitutionnelle et
démocratique sur le modèle de la monarchie britannique, le vieil ours de
maréchal fut si scandalisé qu'il congédia brutalement son chancelier. Il le
rappela une semaine plus tard pour lui annoncer qu'il refusait de se
représenter aux élections.
Entre-temps, Brüning d'abord, puis
Hindenburg avaient eu leur première entrevue avec Adolf Hitler.
Les deux entretiens s'étaient mal passés pour le chef nazi. Il ne s'était pas
encore remis du coup qu'avait été pour lui le suicide de Geli Raubal; son
esprit vagabondait et il n'était pas sûr de lui. Quand Brüning lui
demanda l'appui des nazis pour prolonger le mandat de Hindenburg, Hitler
répondit par une longue tirade contre la République, qui ne permettait guère
d'espérer qu'il accepterait les plans du chancelier. Avec Hindenburg, Hitler
était mal à l'aise. Il essaya d'impressionner le vieil aristocrate par une
longue harangue, mais il n'y parvint pas. Le président, à cette première entrevue,
ne fut pas impressionné par le « caporal bohémien », comme il l'appelait, et
déclara à Schleicher qu'un homme pareil pouvait devenir
ministre des Postes mais jamais chancelier — parole que le maréchal devrait
ravaler par la suite.
Hitler partit en hâte pour Bad Harzburg, où,
le lendemain, 11 octobre, il participa à une manifestation massive de «
l'opposition nationale » contre les gouvernements d'Allemagne et de Prusse.
C'était une réunion, pas tant de la droite radicale représentée par les
nationaux-socialistes, que des forces conservatrices plus anciennes de la
réaction : le Parti national allemand de Hugenberg, l'armée privée des anciens
combattants de droite, le Stahlhelm, les soi-disant Jeunes
de Bismarck, la Ligue agraire des Junkers et un assortiment
hétéroclite de vieux généraux. Mais le chef nazi n'avait pas le cœur à cette
réunion. Il méprisait toutes ces reliques de l'ancien régime, affublées de
leurs jaquettes, de leurs hauts-de-forme et de leurs médailles, et avec
lesquels ce pourrait être dangereux, estimait-il, d'associer trop étroitement
un mouvement « révolutionnaire » comme le sien. Il prononça rapidement son
discours et quitta les lieux avant le défilé du Stahlhelm, qui,
à son grand agacement, s'était révélé avoir des effectifs plus nombreux que les
S.A.
Ainsi se trouva étouffe dans l'œuf le Front de Harzburg, constitué ce jour-là, et qui représentait un effort des vieux
conservateurs pour entraîner les nazis dans un front unifié avant de lancer un
ultime assaut à la République, en exigeant notamment la démission immédiate de Brüning. Hitler n'avait aucune intention de jouer le second
violon de ces messieurs, dont l'esprit, lui semblait-il, voguait encore dans un
passé qu'il savait à jamais révolu. Il pouvait
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