Le Troisième Reich, T1
haines nourris par les
extrémistes, mais qui fut incapable d’apprécier l’honnêteté et l’honorabilité
de la vaste majorité de ses concitoyens, qu’ils fussent Tchèques, Juifs ou
Allemands, pauvres ou riches, artistes ou ouvriers. Il est d’ailleurs douteux
qu’un Allemand, Prussien, Rhénan ou même Bavarois, eût puisé, dans son seul
sang et son seul esprit, en dehors de tout contact avec la vie réelle, ces
éléments dont le mélange porta Hitler jusqu’à sa position vertigineuse. Il faut
ajouter que l’homme possédait, en plus un génie particulier qui, vis-à-vis de
ses autres dons, devait par la suite jouer le rôle de catalyseur.
Cependant, au printemps 1913, ce génie ne s’était pas encore
manifesté. A Munich comme à Vienne, Hitler resta sans le sou sans ami, sans
emploi régulier. Au cours de l’été 1914, la guerre survint et l’emprisonna dans
ses serres impitoyables, comme de millions d’autres hommes. Le 3 août, il
sollicita par une requête adressée au roi Louis III de Bavière l’autorisation
de s’engager dans un de ses régiments ; elle lui fut accordée.
Ce fut, lui semblait-il, la chance décisive de sa vie. Désormais
le jeune vagabond pouvait non seulement servir la patrie bien aimée dans une
lutte vitale où son existence même était en jeu mais aussi laisser loin
derrière lui les échecs et les privations de sa vie passée.
« Pour moi, écrit-il dans Mein Kampf , ces heures
vinrent me délivrer de la misère qui me harcela durant ma jeunesse. Je n’ai pas
honte de dire que, transporté par l’enthousiasme du moment je tombai à genoux
et, du fond du cœur, remerciai le Ciel de m’avoir accordé le bonheur de vivre à
une telle époque… Pour moi comme pour chaque Allemand, commença dès lors la
période la plus mémorable de ma vie. Comparé aux événements de cette lutte
gigantesque, tout le passé sombra dans l’oubli (64). »
Pour Hitler, en effet, le passé allait s’enfouir dans l’ombre, avec
sa pauvreté, sa solitude et ses déceptions. Il y avait cependant forgé son
esprit et son caractère de façon définitive. Et la guerre qui coûterait tant de
millions de vies humaines, lui valut un nouveau départ dans l’existence. Il
avait alors vingt-cinq ans.
2 -
NAISSANCE DU PARTI NAZI
Un jour du sombre
automne 1918, le dimanche 10 novembre, Adolf Hitler éprouva
le sentiment de ce que, dans l’intensité de sa haine et de son désespoir, il a
appelé la plus grande vilenie du siècle [12] .
Un pasteur venait d’apporter d’incroyables nouvelles aux blessés de l’hôpital
militaire de Pasewalk, petite ville poméranienne située au nord-est de Berlin ;
Hitler s’y rétablissait d’une cécité temporaire, conséquence d’une attaque aux
gaz lancée par les Britanniques, un mois auparavant, dans le secteur d’Ypres.
Le ministre protestant informa donc les soldats que, dans la
matinée même, le Kaiser avait abdiqué et s’était enfui en Hollande. Le
lendemain, 11 novembre, un armistice devait être signé en France, à
Compiègne. La guerre était perdue, et l’Allemagne à la merci des Alliés
victorieux. Le pasteur se mit à sangloter.
« Je ne pus y résister davantage, dit Hitler en racontant
cette scène. Ma vue s’obscurcit totalement ; je regagnai la salle en
trébuchant, me jetai sur mon lit, enfouis ma tête brûlante sous les couvertures
et dans l’oreiller… Ainsi, tout avait été inutile. Vains, tous les sacrifices
et toutes les privations… vaines, les heures où, le cœur serré dans une terreur
mortelle, nous avions néanmoins fait notre devoir ; vains, nos deux
millions de morts… est-ce pour cela qu’ils étaient morts ?… Tout cela, simplement
pour qu’une bande de scélérats puisse mettre la main sur la patrie (1) ? » – Pour la première fois depuis le décès de sa mère, prétend-il, Hitler s’effondra
et pleura. « Je ne pus faire autrement. » Comme des millions de ses
compatriotes, dès lors et sans cesse ensuite il se refusait à admettre le fait
brutal et démoralisant : l’Allemagne, battue par les armes, avait perdu la
guerre.
Comme des millions d’autres Allemands, Hitler fut un soldat
brave et courageux. Certains de ses adversaires politiques l’on ultérieurement
taxé de lâcheté sur le champ de bataille ; mais, en toute
équité, il faut dire qu’on ne possède pas dans ses états de service le moindre
témoignage à l’appui de cette accusation. Il
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