Le Voleur de vent
vaincu par ce
regard blessé. Il reprit son récit :
— Il y avait fort jolie femme rousse sur
le pont. On dit qu’elle serait princesse espagnole, mais plus certainement
grande-duchesse captive des pirates et libérée par le comte de Nissac. Il se
dit qu’elle passerait la nuit en la demeure du gouverneur mais réembarquerait
dès demain sur Le Dragon Vert pour s’en retourner en son pays.
Élisabeth se leva et s’approcha des flammes qu’elle
regarda longuement puis, se retournant vivement vers son frère :
— Et que faisait-elle, sur le pont ?
— Elle ne quittait point monsieur de
Nissac du regard. C’est une femme entièrement prise par l’amour, chacun put s’en
rendre compte.
Élisabeth chancela un instant mais se rattrapa
d’extrême justesse. Une fois encore, si elle savait ne point vouloir vivre avec
Nissac loin de son frère, l’idée que le vice-amiral donne son amour à une autre
lui brisait le cœur.
Elle adressa un pauvre sourire à Louis qui en
fut bouleversé :
— Il aime ailleurs. Tant mieux, il ne verra
point comme je suis devenue laide.
— Il n’en est rien !… Vous avez
maigri à refuser de vous nourrir en raison que vous vous punissez de vous être
montrée hostile à monsieur de Nissac.
Elle l’écoutait à peine. Il sourit et s’approcha.
— Vous ne m’avez point demandé comment
Monsieur de Nissac, lui, regardait la belle princesse espagnole ?
Élisabeth devina que la réponse à cette
question ne devait point être désagréable à entendre.
De nouveau, elle saisit les mains de son frère.
— Louis !… Louis !… Bien sûr je
vous le demande mille fois et vous prie de ne point différer votre réponse :
comment la regardait-il ?
— Il ne la regardait pas. Et c’eût été
grande tristesse si la situation n’était point que vous éprouvez inclination
envers monsieur de Nissac et que l’infortune de cette belle princesse était le
meilleur signe que l’objet de votre possible amour ne l’aime point en retour. Il
ne la voyait pas et, si son regard passait sur elle pour surveiller tel marin à
la manœuvre, il ne s’y attardait aucunement. C’est ainsi, Élisabeth, en grande
vérité telle que mes yeux ont vu ces choses.
Élisabeth eut alors une réaction qui étonna
son frère bien qu’il fût de longtemps prévenu de la bonté de la jeune femme. En
effet, Élisabeth dit à mi-voix :
— La pauvre princesse, comme elle doit
souffrir car monsieur de Nissac n’est point un homme qu’on aime à demi.
Un long silence s’installa entre le frère et la
sœur mais si Élisabeth n’en eut guère conscience, Louis en fut gêné qui feignit
un ton joyeux :
— Décidément, vous ne voulez rien savoir
de l’arrivée en le port de Toulon du vice-amiral couvert des lauriers de sa
double victoire.
Elle le regarda sans comprendre puis, saisissant
tout soudainement les paroles de son frère, elle le pressa :
— N’omettez rien, Louis !… Je veux
tout connaître. Ainsi, vous étiez en le port ?
Cette fois, le jeune homme sourit, heureux qu’on
en vienne enfin à cela pour lequel tant il s’était hâté vers le château.
— Avec quelques milliers d’autres !…
C’est que la chose s’était sue par voile de pêcheur fine et légère filant sous
le vent et tout l’équipage de ce bateau de pêche, à peine arrivé, de conter que Le Dragon Vert s’en revenait encore victorieux traînant en son sillage deux
magnifiques galions captifs.
— Deux ! coupa Élisabeth, admirative.
Louis reprit :
— Des tavernes du port, la nouvelle gagna
toute la ville et le palais où se trouvait le gouverneur. Ainsi, cela explique
sa présence et celle de ses gardes, mais plus étrange était la proximité de ces
mousquetaires gris, soldats royaux qui ne parlaient jamais, pour les rares qu’on
voyait en les rues pour le service car les autres restaient cloîtrés en leurs
quartiers. En tout cas, ils furent bientôt sur le port et firent reculer la
foule qui arrivait de partout et, en cet office, ils ne firent point montre de
douceur. Mais eux aussi tournèrent la tête lorsqu’une clameur annonça point sur
l’horizon. Ah, Élisabeth, comme la chose fut belle et comme je regrette que
vous ne l’ayez pas vue !
— Contez-la-moi, Louis !
— Le Dragon Vert apparut bientôt
en sa parfaite beauté et sa rare élégance, car vous savez que monsieur de
Nissac l’a dessiné plus fin que tous les autres galions de par le
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