Le Voleur de vent
parlait en tout lieu du port et de la ville, mais pareillement de ces
mousquetaires tous vêtus de gris fer, aux manières rudes et qui, pour certains,
n’entendaient pas même le français.
Bassompierre hâtait la manœuvre et veillait à
toutes choses. Il savait que son roi attendait en la résidence de Charles de
Lorraine, duc de Guise et gouverneur de Provence. Il n’ignorait point non plus
que, chez Henri quatrième, la patience n’était pas la vertu première.
Bientôt, les chariots s’ébranlèrent.
Ils avançaient en ordre compact, la longue
file gardée de chaque côté par double haie de ces étranges mousquetaires, gris
jusqu’à la plume de leurs chapeaux, et qui conservaient en permanence la main
sur la poignée de l’épée.
Henri quatrième, en la belle demeure du duc de
Guise, entendit bien la colonne arriver, le hennissement d’un cheval, le bruit
des coffres qu’on descendait des chariots mais, buvant un verre de vin en
compagnie du gouverneur, il estima contraire à la royale majesté de ne point
réprimer sa grande impatience.
Enfin, un officier entra et murmura quelques
paroles à l’oreille de Guise qui, aussitôt, se tourna vers le roi de France :
— Si Votre Majesté daigne me suivre…
Intérieurement, le roi pesta contre la lenteur
des petits pas du gouverneur de Provence, estimant par ailleurs détestable
cette idée d’entreposer le trésor en une salle si éloignée de l’endroit où il
se trouvait peu avant.
Enfin, quelques escaliers et longs couloirs
plus loin il parvint, sur les talons de Guise, devant une porte massive gardée
par quatre mousquetaires gris qui ne bougèrent point d’un cil lorsque le
gouverneur leur ordonna de s’écarter, car ils n’obéissaient qu’à Bassompierre
ou à leur souverain.
Irrité, Henri quatrième leur adressa petit
geste nerveux. L’un des mousquetaires ouvrit alors la porte mais la referma
sitôt derrière le roi et le duc de Guise.
Stupéfait, Henri quatrième n’osait faire un
pas devant le spectacle de dizaines de gros coffres aux couvercles levés qui laissaient
voir des milliers de pièces d’or et de pierres précieuses.
Dans un coin, entassés hâtivement et tous
façonnés en l’or le plus fin se voyaient calices, encensoirs, retables, ciboires,
ostensoirs…
Se reprenant enfin, le roi se tourna vers le
gouverneur et constata non sans plaisir que le détachement qu’il avait
ostensiblement affiché jusque-là laissait la place à un tel étonnement qu’il
semblait que les yeux du duc allaient choir hors de leurs orbites.
Cherchant à retrouver belle apparence, le duc toussota
puis, d’une voix qui manquait cruellement d’assurance :
— À n’en point douter, Sire, ce Nissac
est une bénédiction !…
« Nissac… Nissac… Toujours ce Nissac !… »
songea le roi qui eût aimé qu’une si fabuleuse fortune fût ainsi déposée à ses
pieds par quelque autre gentilhomme.
— Sans doute !… répondit-il, furieux
de devoir quelque chose à Nissac pour la seconde fois en sa vie.
Le duc, voyant que le bât blessait, poursuivit
perfidement :
— Vous eûtes fort belle inspiration, Sire,
lorsque vous fîtes construire ce Dragon Vert. Une inspiration renouvelée
lorsque vous vint l’idée de confier le commandement de ce navire à Nissac.
— Certainement !… rétorqua aigrement
Henri quatrième qui savait bien, lui, que Le Dragon Vert était un don qu’on
lui fit, lui imposant Nissac du même coup. Il eut pourtant la faiblesse de ne
point repousser ces compliments indus, par fatuité, certainement, bien que le
doute le traversât quant à la sincérité du duc de Guise.
Celui-ci, revenu de Paris où il s’était fait
conter par Pinthièvre, sa créature, ce qui s’était dit à la réunion des
conspirateurs en cagoules de satin noir, chercha à dissimuler son mépris.
Il détestait le roi, qu’il tenait pour un
imposteur se coiffant d’une couronne qui ne lui revenait pas. Il lui trouvait
autant d’allure qu’un cocher et guère davantage de propreté qu’un crocheteur
des quais de Toulon.
Il l’observa tandis qu’Henri quatrième qui s’était
approché plongeait ses mains dans les coffres pour faire cascader les pièces d’or.
« Un vieillard ! » songea-t-il
en voyant les cheveux blancs et le dos voûté par les années. Il avait remarqué
peu avant, tandis que le monarque lui parlait, sauce séchée sur la barbe
blanche et l’idée se présenta à lui qu’il
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