Le Voleur de vent
et tendresse avec son frère, comprit que par ce jeu, il la
plaçait dans l’obligation de voir clair en elle-même et, conséquemment, de
faire un choix. Elle lui sourit.
— Louis, vous vous jouez de moi.
— Non, point tout à fait. En vérité, je
vous observe avec émotion.
Il se tut un instant, réfléchit, puis :
— Sans doute avez-vous raison, et ne
suis-je pas en grande connaissance des mécanismes de l’amour. Pourtant, je
crois savoir certaines choses et par exemple que jolie femme n’a pas le droit
de s’enlaidir en portant vilaine robe sombre et sans joie telle que vous le
faites en cet instant.
Élisabeth leva sur son frère un regard de
biche traquée :
— Mais… que faire, Louis ?
Le jeune homme soupira :
— Votre robe de brocatelle de soie à fond
vert relevé de doré et de blanc. Votre jupon de satin blanc doublé de taffetas
blanc. Vos bas de soie blanche.
Elle posa sur lui un regard où se lisait
profonde reconnaissance.
— Votre avis est subtil et de bon goût, Louis.
Savez-vous ?… Je crois qu’aucun homme ne vous vaudra jamais.
Brusquement émue, bouleversée que fût ainsi
pour la première fois formulée à voix haute chose en laquelle elle croyait
secrètement depuis toujours, elle se jeta dans les bras de son frère et y
pleura à gros sanglots en comprenant qu’elle préférait cette épaule à toutes
celles qui se trouvaient en le monde.
Fût-ce celle du comte de Nissac…
23
Charles de Lorraine, duc de Guise, veilla à ce
que le roi Henri quatrième et son fidèle Bassompierre fussent placés en une
petite pièce à mince cloison qui se trouvait jouxtant la salle où le gouverneur
recevait le vice-amiral de Nissac. Par les yeux vides d’un portrait installé en
la salle, derrière lequel, dans la petite pièce, se plaça le roi, il voyait
sans être vu, nul ne pouvant imaginer que les yeux de tel tableau soient
véritables et appartiennent au roi de France. En outre, le peu d’épaisseur de
la cloison permettait de ne rien ignorer de ce qui se disait entre Guise et
Nissac.
Henri quatrième, découvrant le vice-amiral, songea :
« Il n’a point changé depuis l’âge de ses seize ans quand je le vis si
extraordinaire à Fontaine-Française. Toujours cette haute taille, mince, élancée,
ce visage osseux, cet air d’éternelle jeunesse, d’intrépidité, cette audace
réfléchie et ces yeux gris qui me donnèrent si grand malaise lorsqu’il comprit,
sans dire un mot, que je lui volais sa victoire et sa gloire »…
Le roi chassa cette pensée pour suivre la
conversation entre Nissac et Guise, celui-ci ayant été chapitré de sorte qu’il
ne ménagea point son interlocuteur, bien qu’on ne lui eût pas indiqué motif
pour lequel il devait se montrer ainsi désagréable.
Le duc, qu’incommodaient la très ancienne
noblesse des Nissac et l’allure distante du vice-amiral, demanda d’un ton où il
laissa volontairement percer une irritation dont il n’eut qu’à modifier la
raison :
— Ainsi donc, monsieur, vous risquez
bâtiment en combat perdu d’avance ?
Le vice-amiral, qui si souvente fois oubliait
volontairement son rang pour ne point mettre en état d’infériorité ses interlocuteurs,
retrouva en cet instant cette froideur glacée des Nissac dès lors qu’on se
montrait en mauvaise foi ou trop familier avec eux. Il n’avait point à rougir
ni à baisser les yeux devant ce gros Guise à la loyauté chancelante et à l’honneur
vacillant quand les Nissac, eux, avaient toujours servi la monarchie en sa
légitimité et le parti royal dès lors qu’il se trouvait menacé, que ce fût à l’intérieur
ou à l’extérieur du royaume.
Il répondit en regardant volontairement
au-delà du duc de Guise :
— Si ce combat fut jamais perdu d’avance,
c’est par les barbaresques dès lors qu’ils divisèrent leurs forces.
Le duc sentit qu’il ne s’était point montré
habile en cette manœuvre. Il attaqua autrement :
— Et ce… butin, vos hommes en ont-ils
soustrait quelque part ?
— Il ne manque pas une pièce d’or mais, si
vous le désirez, mes marins, mes officiers et moi-même pouvons-nous mettre nus
pour séance de fouille tandis que vos mousquetaires couleur de matin pluvieux
inspecteront et nos effets, et Le Dragon Vert.
Guise sentit que cette fois encore, il n’avait
su manier la menace comme il eût convenu.
Derrière la cloison, le roi songea que le
gouverneur agissait sottement quand
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