Le Voleur de vent
ennuyée. En grande
indifférence, le vice-amiral semblait ne point être là, mais la duchesse, qui
apprenait rapidement à le parfaitement connaître, savait comme en ce moment
même il se trouvait ému et attentif à toutes choses.
Les yeux gris inexpressifs regardaient le port
de Toulon comme si Le Dragon Vert revenait d’une courte promenade en mer
alors qu’après sa double victoire, il peinait à ramener ses gros captifs.
Un vent léger jouait dans les magnifiques
plumes blanches, bleues et vertes du chapeau de feutre marine de Nissac et le
panache ondoyant fascinait la jeune femme.
Balayant l’espace de la main, d’un élégant
geste du poignet entouré de dentelles blanches, le comte signifia à monsieur
des Ormeaux qu’il lui fallait la voie libre pour entrer en le port.
Malgré elle, la jeune femme substitua à cette
image du comte fort bien mis celle de l’homme en chemise, sabre entre les dents
et un pistolet dans chaque main, sautant sur le pont du navire barbaresque au
grand mépris de la mitraille qui sifflait autour de lui.
Elle secoua doucement la tête en murmurant :
— Comment ne pas t’aimer, Thomas de
Nissac ?…
Puis elle vit la foule des petits et grands
bateaux s’égailler pour laisser Le Dragon Vert et les vaisseaux captifs
entrer en le port afin d’y tenter manœuvre sans précédent en ce lieu.
21
Le roi Henri quatrième, flanqué de ses fidèles,
François de Bassompierre, colonel général des Cent Suisses, et le baron Antoine
de Roquelaure, maître de la garde-robe, avait trouvé bon point de vue sur le
port en une maison élevée prêtée par un ami du gouverneur.
Henri quatrième, qui en son règne avait fort
négligé la marine, s’émerveilla de voir le pavillon royal flotter sur Le
Dragon Vert, ce fin vaisseau victorieux qui traînait en son sillage les
deux gros galions captifs.
Le Béarnais, tout à sa fierté, s’exclama :
— Cela semble gracieuse libellule tirant
par le nez deux gros hannetons !
Bassompierre, qui savait voir très loin en les
choses militaires, suggéra :
— Sire, leurs mâts remplacés, ces deux
beaux vaisseaux de prise pourraient fort contribuer à assurer votre paix en les
mers du Ponant.
— Il en sera ainsi !… répondit
impulsivement le roi, ignorant que la mort le prendrait avant qu’il puisse
veiller à l’exécution d’un tel ordre et que les deux beaux galions espagnols, privés
d’entretien, ne seraient hélas point réarmés et pourriraient près de trente
années durant en un coin reculé du port de Toulon.
— Contiennent-ils vraiment si grands
trésors ?… questionna Roquelaure dont le ton indiquait assez qu’il en
doutait.
Le roi, qui espérait ne pas être déçu, répondit
un peu brusquement :
— Ce comte de Nissac n’est certes point
vantard !…
« Je suis mieux placé que tout autre pour
le savoir », songea Henri quatrième, non sans honte, au souvenir des
lauriers qu’il avait volés au tout jeune comte de Nissac qui ne devait point
être âgé de plus de seize ou dix-sept ans lors de cette délicate affaire…
Chassant ce pénible souvenir, il reprit d’un
ton radouci :
— Allons chez le Guise, nous verrons bien !…
Louis de Sèze, comte
de La Tomlaye, poussait son cheval pour atteindre rapidement le château
familial.
Son cœur battait plus vite à l’idée de l’excitation
qu’il allait susciter chez Élisabeth, sa sœur bien aimée.
Trouverait-il les mots ?… Saurait-il
raconter ?… Transmettrait-il l’émotion qui avait été la sienne à l’arrivée
du Dragon Vert en le port de Toulon ?…
Il le souhaitait et répétait l’histoire qu’il
composait en inversant l’ordre du récit, essayant de nouvelles combinaisons
pour tirer effet qui fut le plus près possible de la réalité.
Il ne fallait point trahir la vérité et il
savait qu’Élisabeth l’écouterait telle une enfant, savourant chacun de ses mots
comme on le fait d’un massepain dont on découvre sous la dent le goût des
amandes et des noisettes.
Il savait aussi qu’une partie de son récit
risquait de provoquer grand chagrin, considérant que sa sœur avait un certain
goût pour la souffrance réelle… ou imaginaire.
Au loin, il ne distinguait toujours pas son
château.
Sitôt les galions amarrés, les mousquetaires
gris avaient envahi les quais, installant d’infranchissables barrages entre les
vaisseaux et la population.
Une population curieuse. Curieuse du trésor
dont on
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