Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
c’est monsieur D., Georges D., a annoncé une voix courtoise, un peu craintive, avec un accent caractéristique de l’est de la France.
Je m’attendais à avoir de ses nouvelles, mais pas si rapidement. Au téléphone, Georges a tout d’abord expliqué qu’il avait attendu d’être seul pour pouvoir me parler tranquillement. Un an auparavant, son épouse avait saisi des bribes de notre conversation. Elle n’aimait pas qu’il s’interroge sur l’identité de ses parents. Leur fille partageait cette réticence. Mieux valait ne plus penser à ça. Son fils, en revanche, le poussait à faire des recherches. Ce jour-là, Georges se trouvait justement sur le chantier de la future maison de son fils. Seul, il faisait les plâtres. Jusqu’à l’âge de la retraite, cela avait été son métier : plâtrier. Je l’imaginais, debout, en bleu de travail, faisant les cent pas arrimé à son téléphone mobile, dans une maison vide, blanche. Nous avons parlé pendant plus d’une heure, sans discontinuer. Je lui posais des questions simples et directes. Son sort après l’arrivée à Commercy, ses souvenirs, les documents personnels dont il disposait… Il répondait sur un ton sympathique, presque familier. Ses mots étaient pudiques, choisis, mais sans calcul : il parlait la langue de l’honnête homme. Au fil de son récit, le plâtrier en retraite faisait resurgir l’histoire d’un môme de l’Assistance, dans la Lorraine d’après-guerre. « D’après mes papiers, je suis né le 18 juin 1944 à Bar-le-Duc. J’ai été baptisé, mais je ne sais pas où. Je n’ai pas été adopté. Le 28 août 1948, on m’a mis avec d’autres enfants dans le train pour Maxéville, près de Nancy. Ce jour-là, je me souviens que j’étais habillé en rouge. À Maxéville, nous avons été placés au pensionnat pour enfants Jean-Baptiste Théry. Dès l’arrivée, on m’a mis directement sous la douche. Là-bas, ça marchait à la baguette. Pour un oui, pour un non, on avait droit à la douche froide, aux coups de bâton ou à la trique. Et aussi au martinet à neuf lanières, fabriqué par le cordonnier du pensionnat. L’hiver, on était gelés. Pour moi, le plus dur, c’était le dimanche. Ce jour-là, la plupart des enfants recevaient la visite de leurs parents. Moi, personne ne venait jamais me voir. Personne ne m’apportait des friandises. Mais il y avait aussi du bon : parfois, on allait à la fête foraine, à Nancy. À Noël, on nous emmenait en bus à la base militaire américaine. Les soldats nous donnaient des bonbons et les plus sages d’entre nous avaient droit à une paire de chaussures fourrées neuves… À 10 ans, j’ai commencé à jouer de l’harmonica. C’était ma passion : quand j’entendais de la musique, je devenais comme fou. Je n’ai jamais arrêté de jouer, je suis un autodidacte. J’ai aussi appris l’accordéon. À 14 ans, il a fallu penser à un métier. Je rêvais d’être peintre en bâtiment et décorateur. Le 1 er juillet 1958, j’ai quitté le pensionnat, car l’assistante sociale m’avait trouvé une place chez un patron. Il ne m’a pas gardé, sûrement parce que je rigolais un peu trop. Après, j’ai été placé comme valet de ferme, à Rouvrais-sur-Meuse. Les fermiers étaient plutôt gentils, mais ils profitaient de moi. J’étais derrière le cul des vaches. Je travaillais treize heures par jour. Logé, nourri, blanchi. C’est tout. Je n’imaginais même pas pouvoir être payé. En 1963, je suis parti à l’armée. J’ai fait 16 mois à Metz. Quand je suis retourné à la ferme, j’avais le permis de conduire en poche. Je pensais toucher un salaire… Leur réponse ? Ils m’ont foutu à la porte ! J’étais de nouveau tout seul. Je suis allé au bistro du village. J’ai raconté mon histoire à la patronne. Dans le café, il y avait un seul client, un monsieur du coin, qui était plâtrier. Il m’a proposé du travail. Le soir même, j’étais chez lui et le lendemain, je commençais. J’ai travaillé chez lui un moment, jusqu’à ce qu’il me dise : « En fait, je n’ai pas vraiment besoin de toi. » Mais, comme j’avais passé mon CAP, il m’a envoyé chez un collègue à lui, en Haute-Savoie. Ce patron-là était aussi musicien, trompettiste. Lui m’a encouragé à continuer la musique. J’ai commencé à jouer du cornet, avec l’harmonie municipale. De temps en temps, je remontais en Lorraine. Au bal du nouvel an de
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