Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS
Saint-Mihiel (dans la Meuse), j’ai rencontré ma future femme. À partir de là, je revenais tous les 15 jours pour la voir. Dès que j’ai pu, je suis retourné vivre dans la région. J’ai fait 41 ans de plâtre, avec toujours la musique à côté. Je joue en harmonie, je me suis aussi produit avec un orchestre. Pendant très longtemps, j’ai joué à l’oreille. Depuis quelques années, je lis les partitions. Je joue une à deux heures par jour. J’aurais aimé être vraiment musicien. La vie s’est déroulée autrement. Mais, ma vraie fierté, c’est d’avoir fait une famille. J’ai des enfants, des petits-enfants. Ces petits, ils aiment marcher au son de ma trompette.
— Vous n’avez jamais cherché à savoir ? lui ai-je demandé.
— Personne ne m’a poussé à chercher. Quand on me demande si j’ai retrouvé mes parents, je réponds : « Non ». Je me souviens qu’à l’école, une institutrice écrivait mon nom en oubliant un « h ». Car, quand j’ai eu ma première carte d’identité, j’ai appris que mon nom prenait un « h ». Une fois, au marché de Metz, j’ai vu une camionnette avec mon nom marqué dessus. Elle venait de Belgique. Si ça se trouve, je suis belge francophone… Je fais partie de l’association des anciens pupilles de la DDASS de la Meuse. Au cours d’une assemblée annuelle, j’ai fait la connaissance de Walter Beausert. Quand j’ai su qu’il était de Bar-le-Duc, comme moi, je suis allé me présenter. Il m’a dit : « Tu fais partie d’une liste. » Je n’en sais pas plus.
Là, je n’ai rien répondu. Rien ajouté. Il continuait :
— Une fois, j’ai dit à mon fils : « Ma mère devait être belle. » Je l’imagine les cheveux châtains, les yeux bleu vert. Moi, je pense que je suis né à Wégimont…
Une semaine après cette conversation, Georges devait se produire avec son harmonie dans une petite commune proche de chez lui, à l’occasion de la fête des mères. Il m’a expliqué qu’il devait jouer, en solo, dix mesures de musique Klezmer. Il avait le trac. J’ai hésité à me rendre dans ce village, ce dimanche de mai. Je me serais fondu dans la foule des badauds. Je n’aurais eu qu’à attendre le solo de musique juive pour identifier l’homme qui suppose être né dans un Lebensborn . Je ne suis pas allé en Lorraine. Je ne connais pas le visage de Georges. Je suis certain que sa mère était belle.
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De Steinhöring à Steinhöring
Le 2 avril 1945, Frau Setzer, une habitante de Schalkhausen, dans la région de Nuremberg, assiste à une scène étonnante. De sa fenêtre, elle aperçoit un camion militaire de type LKW s’arrêter à un barrage de contrôle, à l’angle de Endresstrasse. Sur le plateau du poids lourd, des couffins en osier sont alignés. Dans chaque panier, un bébé. Madame Setzer réalise immédiatement qu’il s’agit des enfants du Heim Lebensborn établi au village. Et, d’après la direction prise par le LKW, elle se dit que l’on emmène les petits à la gare.
La date de ce départ est confirmée par un document retrouvé bien longtemps après la guerre. Une facture datée du 2 avril 1945, adressée aux foyers Franken I et Franken II de Schalkhausen, récapitule les dépenses engagées depuis le 4 mars précédent. Son montant : 1 625,20 Reichsmarks. Une grosse somme, qui permet de penser qu’environ 80 enfants séjournaient encore au Heim à cette date. Une vingtaine d’entre eux – Ingrid, Helga, Walter, Gisela, Hans, Georg – sont nés à Lamorlaye et à Wégimont. Une douzaine d’autres vient de Bad Polzin, en Poméranie ; douze autres encore d’Oranienburg, près de Berlin. Enfin vingt-cinq à trente gamins sont des pensionnaires habituels du foyer Franken de Schalkhausen. Tous ces petits aryens, de mères allemandes, norvégiennes, françaises, belges, néerlandaises ou polonaises, restent, malgré l’urgence de la situation, une matière précieuse que les SS veulent absolument conserver entre leurs mains. Aussi les gardiens de l’Ordre noir vont, une dernière fois, la placer en lieu sûr.
Pourtant, contrairement à ce que suppose Frau Setzer, le 2 avril 1945, il est peu probable que ce « bon sang » ait été transporté par voie de chemin de fer. Trop périlleux : les trains sont une proie idéale pour les chasseurs et les bombardiers alliés. Il est plus prudent de voyager par la route. À partir de Schalkhausen, les enfants effectuent un périple
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